Surplombant la rivière Chao Phraya qui traverse Bangkok, l’immeuble de 49 étages rongé par l’humidité et les intempéries projette une ombre menaçante sur les environs de la rue Charoenkrung, au cœur du très chic quartier de Sathorn.

Couvert de moisissures et de graffitis la plus célèbre «Tour fantôme» de Bangkok (“Ghost Tower”), s’est tellement détériorée que son accès est maintenant condamné à l’aide de portes soudées pour décourager les aventuriers urbains d’entreprendre son ascension.

Depuis qu’on y a retrouvé en 2014 un backpaker suédois pendu dans une des nombreuses salles de bain de l’immeuble en décomposition, les Thaïlandais sont persuadés que le building rescapé de la crise de 1997 est hanté.

Sathorn Unique, un des vestiges emblématiques de la crise financière de 1997 à Bangkok
Sathorn Unique, un des vestiges emblématiques de la crise financière de 1997 à Bangkok

Initialement Sathorn Unique était censé être un des complexes résidentiels les plus luxueux de Bangkok. Mais sa construction initiée au début des années 90 s’est brutalement interrompue en 1997.

Sathorn Unique est l’un des 300 immeubles de bureaux et appartements de Bangkok dont la construction est restée inachevée après la crise financière asiatique de 1997.

Aujourd’hui, il ne reste qu’une poignée de ces projets en ruines, qui témoignent de la brutalité du chaos économique qui a frappé la région il y a deux décennies.

Le 2 juillet 1997, le gouvernement thaïlandais attaqué par la spéculation sur le baht se retrouve incapable de maintenir le taux de change fixe avec le dollar qu’il soutient de manière artificielle depuis des mois.

 

25 baht pour un dollar ?

Avant la crise de 1997, la Thaïlande avait un déficit courant chronique. En 1996, il était de 14,6 milliards de dollars, soit 8% du PIB. La banque centrale de Thaïlande avait cependant fixé arbitrairement le taux de change à 25 bahts pour un dollar, attirant un afflux de capitaux étranger à court terme à la recherche de taux d’intérêt élevés.

Les banques et les entreprises thaïlandaises ont utilisé cette manne pour financer des projets d’investissement immobiliers, y compris des immeubles de luxe comme Sathorn Unique.

Mais à la suite d’attaque spéculatives contre un baht manifestement surévalué, les marchés ont perdu confiance dans la monnaie thaïlandaise et le flux s’est brusquement inversé.

La Banque de Thaïlande a rapidement manqué de réserves étrangères et a été forcée de laisser flotter sa monnaie dont le cours s’est effondré a près de 50 baht pour un dollar.

La crise s’est répandue rapidement en Corée du Sud et en Indonésie : des gouvernements sont tombés et de nombreux pays ont dû être secourus par le Fonds monétaire international.

De nombreux investisseurs se retrouvent endettés auprès des banques, et incapables de faire face à leurs échéances. Les constructions s’arrêtent, laissant dans Bangkok nombre de tours vides à moitié construites que les Thaïlandais surnomment tours fantômes (ghost tower).

Depuis la crise de 1997, la plupart des économies asiatiques ont enregistré une croissance spectaculaire
Depuis la crise de 1997, la plupart des économies asiatiques ont enregistré une croissance spectaculaire (sauf le Japon).

La malédiction du chiffre 7

Pour les marchés financiers, le chiffre sept semble être de mauvais augure. C’est en 1987 que le marché boursier américain s’est effondré sur ce qui est devenu plus tard connu sous le nom de Black Monday, alors que le Dow Jones Industrial a plongé 22% en une seule journée.

En 2007, c’est le marché des prêts hypothécaires (subprimes) aux États-Unis qui fait défaut, entraînant l’effondrement de la banque d’investissement Lehman Brothers et l’essor d’une crise financière mondiale sans précédent.

Mais 2017 a jusqu’à présent plutôt été une année positive pour les économies asiatiques et dans le reste du monde.

La Banque mondiale a même revu à la hausse ses Perspectives économiques mondiales publiées en juin en prévoyant que la croissance mondiale s’accélérerait de 2,3% en 2016 à 2,7% cette année, les économies asiatiques affichant la plus forte croissance.

Mais la présence d’un sept dans le millésime de cette année ne semble pas gêner outre mesure le gouverneur de la Banque de Thaïlande, Veerathai Santiprabhob.

“Nous ne sommes pas préoccupés par le fait qu’une crise semblable à celle de 1997 puisse arriver en Thaïlande, car il existe maintenant de nombreuses garanties et une fragilité systémique a été retirée du système”

a-t-il déclaré récemment au Bangkok Post.

Des économies mieux préparées et plus résistantes qu’en 1997

La plupart des experts conviennent que les systèmes financiers et économiques d’Asie sont devenus plus résistants depuis la crise de 1997. La Thaïlande, l’Indonésie et la Corée du Sud ont abandonné leur système de taux de change fixe par rapport au dollar, une pratique qui avait rendu leurs économies très vulnérables aux attaques des spéculateurs.

La plupart des économies émergentes dans la région ne présentent plus de déficit courant comme c’était le cas pour la Thaïlande en 1997, et de nombreux pays affichent même de des de réserves en devises étrangères assez confortables.

Le solde de la réserve totale des cinq plus grandes économies en Asie du Sud-Est – Thaïlande, Indonésie, Malaisie, Philippines et Vietnam – a dépassé 500 milliards de dollars à la fin de 2016, soit cinq fois plus qu’en 1996.

Aujourd’hui le déséquilibre entre les emprunts en dollars à court terme de la Thaïlande auprès des investisseurs étrangers et ses investissements à long terme en monnaie locale a été largement corrigé.

Mais cela ne signifie pas qu’il n’y a plus de risques futurs de crise dans la région, notamment parce que l’économie thaïlandaise dépend en grande partie de ses exportations (plus de 60% du PIB), en particulier vers la Chine et les autres pas de l’Asean.

La Chine est un risque évident pour la Thaïlande qui a récemment fait du partenaire chinois son principal allié.

La montée en puissance du risque chinois

Entre 1997 et 2017, le PIB nominal de la Chine a été multiplié par dix, passant de 8 trillions de yuans (1,17 trillion de dollars) à 81 000 milliards de yuans. Le président Xi Jinping a précisé que le gouvernement augmenterait encore ses dépenses pour soutenir l’économie jusqu’au prochain congrès du Parti communiste cet automne.

À la fin du mois de mai, la Banque populaire de Chine a modifié la formule qu’elle utilise pour calculer le taux de change du yuan afin de freiner les fluctuations de la monnaie.

Ce mouvement va à l’encontre de la promesse – faite l’année dernière lorsque le yuan a été ajouté au panier de monnaies de réserve du FMI – de desserrer le contrôle de l’État sur la monnaie. C’est aussi un signe de la préoccupation de Beijing concernant les sorties de capitaux.

Coincé dans le marché domestique ultra réglementé, l’argent liquide inonde le marché intérieur chinois, alimentant les craintes d’une bulle immobilière.

L’économie chinoise engendre toujours un mélange de pessimisme et d’optimisme, mais si cette bulle d’actifs éclate, son impact pourrait largement dépasser celui de la crise financière de 1997, compte tenu de la dépendance de l’Asie à l’égard de la Chine en termes de commerce, d’investissement et de financement.

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