La présence chinoise sur la terre des Thaïs remonte à des temps immémoriaux. Ils étaient déjà fort nombreux à faire valoir leur qualité de marchand au temps du Royaume cosmopolite d’Ayutthaya et au début de l’ère Rattanakosin à Bangkok.

La majorité des Chinois est pourtant arrivé au Siam entre le début du 19ème siècle et les années 1950.

Selon le chercheur Arnaud Leveau, (Le Destin des fils du dragon, L’Influence de la communauté chinoise au Viêt Nam et en Thaïlande) ils auraient ainsi été plus d’un million et demi à immigrer pendant cette période.

Par rapport à la population totale du Siam à cette époque, moins de 10 millions en 1900, ces chiffres sont considérables.

La plupart seraient arrivés en tant que coolie, c’est-à-dire simple ouvrier agricole venant chercher du travail.

D’abord au service de maîtres chinois déjà installés, les plus téméraires ont réussi à lancer leur propre petite entreprise.

Le système d’interdépendance chinois

Une fois sur place, les Chinois se regroupaient et formaient des communautés solidaires de langues (Teochew, Hakka, Hokkien), de lieux (la plupart des sino-thaïs tracent leur origine depuis seulement quelques districts dans le Sud-est de la Chine), et d’esprit (la pensée chinoise).

Par ailleurs, ceux venus seuls se mariaient avec des femmes locales, et entamaient par là-même leur assimilation à la société thaïe tout autant que leur ascension sociale.

Ces communautés chinoises valorisaient effectivement la réussite sociale, grâce à l’éducation et une participation active dans les affaires de la Cité, mais aussi la réussite économique, via le succès dans les affaires.

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Yaowarat, le quartier chinois de Bangkok en 1920

Le quartier de Chinatown à Bangkok, proche du palais royal, est en quelque sorte l’emblème de cette volonté de peser dans la société.

Pour réussir, la tactique des commerces familiaux chinois était simple: faire du chiffre. Quitte à faire des marges minuscules et s’endetter lourdement, les marchands chinois prenaient des risques énormes.

Pour financer ces risques, les commerces et communautés solidaires jouaient un rôle majeur en se prêtant mutuellement de l’argent à des taux préférentiels.

Dans les cas où cela fonctionnait, ils éliminaient assez rapidement la concurrence non-chinoise dans leur domaine respectif.

Le terme chinois Guanxi 关系 désigne parfaitement bien ces connections et ces relations dans la diaspora chinoise, basés autant sur le mode de gestion des commerces que sur la dynamique des réseaux d’influences et d’entraides.

La puissance économique des sino-thaïs

Ce qu’on appelle aujourd’hui des sino-thaïs sont des citoyens thaïlandais assimilés avec des origines chinoises dont ils ont gardés certains traits de la culture (langue, philosophie chinoise, solidarité, culte des ancêtres, etc.), et qui évoluent dans ce maillage ethnico-culturel d’entreprises familiales.

On trouve ainsi des sino-thaïs aux plus hautes positions sociales, y compris en politique.

Par exemple, les deux politiciens majeurs des quinze dernières années sont Thaksin Shinawatra et Abhisit Vejjajiva, tous deux des sino-thaïs.

Le domaine dans lequel les sino-thaïs excellent aujourd’hui reste pourtant le commerce, les affaires et entrepreneuriat.

Ils dominent ainsi largement l’économie du pays et dégagent une puissance économique énorme.

Par exemple, les banques Kasikorn et Bangkok Bank, la plus puissante du Royaume, ont été créé par des sino-thaïs, à l’instar du prestigieux Central Group qui est le fruit de la réussite de la famille Chirathivat, originaire de l’île de Hainan.

D’après la liste des 20 Thaïlandais les plus riches dressée par le magazine Forbes en 2015, pesant à eux seuls plus de 82 milliards de dollars, on ne dénombre pas moins de neuf milliardaires, dont les cinq premiers, ayant des origines chinoises récentes, c’est-à-dire que leur famille ou eux-mêmes se sont établi dans le Royaume dans le courant du 20ème siècle.

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En élargissant encore un peu l’immigration chinoise au 19ème siècle, on pourrait ajouter bien d’autres richissimes hommes d’affaires ayant des origines chinoises claires, tel le businessman et ancien premier ministre Thaksin Shinawatra ou encore la famille Osathanugrah, dont l’origine de leur groupe Osotspa se trouve à Sampeng (Chinatown).

Ainsi, malgré les discriminations à leurs égards dans toute la première moitié du 20ème siècle, on retrouve les sino-thaïs à l’origine de nombreux fleurons de l’économie thaïlandaise.

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Un modèle d’entreprise familiale

Par exemple, les banques Kasikorn et Bangkok Bank, la plus puissante du Royaume, ont été créé par des sino-thaïs, à l’instar du prestigieux Central Group qui est le fruit de la réussite de la famille Chirathivat, originaire de l’île de Hainan.

Autre cas, le milliardaire Keeree Kanjanapas (黃創山 Wong Chongshan) est l’actionnaire principal de la holding BTS, l’acronyme derrière le système de métro aérien de Bangkok.

Quant au groupe CP (Charoen Popkhand), propriété de l’homme le plus riche du pays, Dhanin Chearavanont (谢国民 Xie Guomin), il s’agit tout simplement de l’un des plus puissants conglomérats asiatiques, très actif en Chine.

Cette énergie entrepreneuriale se transmet d’une génération à l’autre et les plus jeunes reprennent traditionnellement l’entreprise familiale pour leur propre intérêt et selon la logique du clan, du respect de la famille et des ancêtres.

Parfois, certains héritiers choisissent une autre voie, pour mieux se démarquer et s’affirmer. Ils lancent alors leur propre entreprise ou vont gagner de l’expérience dans un autre domaine, tout en étendant leur réseau pour mieux revenir ensuite diversifier le commerce familial.

Quel avenir pour les entreprises sino-thaïes ?

Conservateur puisque axé sur la famille et les liens d’interdépendance dans le groupe, le modèle des sino-thaïs se trouble et évolue aujourd’hui avec le modèle capitaliste mondialisé qui passe outre les frontières et les modèles économiques cloisonnés.

L’un des symboles criant de cette fissure est la posture économique libérale de l’ancien premier ministre Thaksin Shinawatra, bien ancrée dans la mondialisation, raison pour laquelle certains magnats sino-thaïs, selon un rapport de Capital Profile, penchent de son côté: la famille Maleenont, Suriya Jungrungreangkit ou encore Prayudh Mahagitsiri.

A l’inverse, de l’autre côté du spectre politique, ses anciens alliés sino-thaï conservateurs, Dhanin Chearavanont, Sondhi Limthongkul ou Chamlong Srimuang pour ne citer que les plus connus, lui vouent une rancune tenace.

Retour aux sources

Au-delà de ces dissensions politico-économiques, l’avenir pour les sino-thaïs semble radieux étant donné les récents rapprochements diplomatiques entre la République populaire de Chine et le Royaume de Thaïlande – le début officiel des relations diplomatiques entre les deux pays date seulement de novembre 1975.

Ouvrant des perspectives d’avenir sans précédent pour les commerces sino-thaïs, il est évident que ceux-ci vont jouer de leur fibre chinoise, comme CP Group le fait depuis 30 ans, pour étendre leur marché chez le géant du nord.

Plus généralement, l’un des signes de ce retour aux sources se constate déjà chez les jeunes générations qui redécouvrent les langues chinoises en apprenant le Mandarin via l’équivalent chinois de l’Alliance française: les Instituts Confucius. Il y en a déjà douze en Thaïlande regroupant sur une année plusieurs milliers d’étudiants.

Dans ce contexte favorable, il est certain qu’une nouvelle page de la réussite économique des sino-thaïs s’écrit devant nos yeux.

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12 milliards de canettes

Selon le dernier classement Forbes, Chalerm Yoovidhya, co-propriétaire de Red Bull, est à la tête de la famille la plus riche de Thaïlande cette année, devançant pour la première fois les frères Chearavanont du groupe CP.