Si l’agriculture en Thaïlande est majoritairement basée sur l’utilisation des pesticides, l’agriculture biologique se fait peu à peu sa place dans les campagnes, grâce à par des initiatives individuelles touchant à l’autosuffisance alimentaire.

Dans l’est l’Est du pays, Green Angèle, Thaïlandaise de 49 ans, cultive son jardin bio et pousse sa communauté à passer au vert.

Surnommé Pee Kiaw (พี่เขียว) en thaï (Pee = appellation respectueuse pour une personne plus âgée que soi, Kiaw = couleur verte), Angèle fait partie de ces militantes de longue date de l’agriculture biologique qui œuvraient pour la permaculture avant même que ce mot ne devienne connu.

Sans enfants ni conjoint, possédant quelques petits terrains dans la province du Buriram, à l’est de la Thaïlande, elle a mis en place son jardin biologique « Green Garden » qui lui permet d’être quasiment auto-suffisante.

Dans la province de Buriram, située à environ 400 kilomètres au nord-est de Bangkok, Angèle s’illustre comme une avant-gardiste de la permaculture.

Avant elle, sa mère s’était érigée en modèle pour sa communauté en commençant à planter plus de 100 000 arbres au temple de SriYaka, en 1987, afin de créer un écosystème forestier.

Angèle, aimant à se faire appeler « Green Angèle », a pris le relai des initiatives de sa mère. Il y a 15 ans, profitant de ses allers-retours entre la ferme familiale et Bangkok où elle travaillait pour l’ONG américaine Bank Information Center, elle y a installé des panneaux solaires afin d’être indépendante dans sa consommation d’électricité.    

Autosuffisance et développement durable

La fameuse théorie de l’autosuffisance économique du roi Bhumibol Adulyadej (Rama IX), l’a beaucoup inspirée. L’ancien monarque a œuvré pour pousser les petits producteurs à se diversifier et rendre leur production agricole durable, en préconisant une moindre dépendance à l’achat de produits manufacturés. 

En devenant leur propre source d’alimentation, ces agriculteurs bio acquièrent résilience et autosuffisance. Rama IX a été l’initiateur de ce passage à l’agriculture biologique, dans l’optique de la spiritualité bouddhiste, qui prône modération, sobriété et respect du vivant. 

Grâce à de nombreux apprentissages dont celui du roi, Angèle n’a jamais cessé d’agencer ses terres de la façon la plus efficace possible, pour que poussent fruits et légumes en tous genre : manguiers, papayers, aubergines, citrouilles, caramboles, tomates, citrons… Autant de vitamines qui lui permettent, en plus de sa petite rizière, de manger à sa faim.

Interrogée à propos de ses économies, qu’elle aurait pu amasser après tant d’années de revenus fixes, Angèle livre sa conception de l’argent.

« Je n’économise jamais. Je donne mon argent pour aider les étudiants ou fermiers pauvres. Moi, je peux survivre sans argent, pas eux ; ils ont des enfants. Et qui aura mon argent quand je mourrai ? » 

GREEN Angèle Pee KIAW

En effet, Angèle a donné ses économies à ses neveux, partis étudier en Europe, et fait des dons réguliers pour la scolarisation des enfants ou pour encourager les fermiers bio de sa communauté.

Selon la Banque mondiale, la Thaïlande est le 5e plus gros utilisateur de produits phytosanitaires, mais seulement 48e en termes de terres cultivées.

Thai-PAN, l’organisme de surveillance des pesticides, a publié en 2019 une enquête, qui révèle que 41% des légumes sur les marchés en Thaïlande sont contaminés par des pesticides chimiques à un niveau dépassant largement les normes internationalement acceptables.

L’idéal écologique est encore loin, mais les initiatives individuelles poussent comme des champignons. De plus en plus de thaï abandonnent les pesticides pour se consacrer au bio, tendance accélérée par les initiatives de Rama IX.

L’alimentation au cœur du mode de vie bio : du jardin à l’assiette 

Ne s’alimentant ni de viande, œufs ou poissons, vomissant les pesticides depuis son plus jeune âge, Angèle est fière de cultiver sa propre nourriture et d’inspirer de nombreux agriculteurs autour d’elle. « J’ai ma propre communauté », assure-t-elle. En effet, elle encourage beaucoup de ses amis à cultiver sans pesticides, en leur enseignant les principes de la permaculture.

Les bananiers étant très humides, faire pousser des plantes avides en eau à leur base réduit les besoins d’arrosage. Les termitières constituent un excellent engrais naturel. Les feuilles de bambous sont un paillage naturel qui retient l’humidité naturelle du sol en limitant l’évaporation. Autant d’astuces dont elle a le secret, acquises au fur et à mesure du temps. 

La nature offre donc directement à Angèle ses repas. Au moment de cuisiner, équipée d’un panier, elle arpente les chemins de son jardin pour cueillir ce qui finira dans sa casserole et donnera un repas goûteux cuit au feu de bois.

Elle peut s’appuyer sur ses amis adeptes de l’agriculture bio et sur sa communauté, qui est en fait un mini-village, pour faire des échanges.

« Parfois, ils viennent se servir dans mon jardin et ils ne paient pas. Et moi, je vais dans le leur et je peux cueillir des choses que je ne fais pas pousser »

GREEN ANGÈLE PEE KIAW

Le repas un moment central dans la culture thaïe

L’alimentation, très importante dans la culture thaïe, l’est encore plus quand on s’intéresse à ce mode de vie en accord avec la nature. Toutes les activités de la communauté et de ses paysans gravitent autour de ce qui se retrouvera dans l’assiette.

Le moment du repas est très central dans la culture : on se met à cuisiner en famille très tôt, peut-être deux heures avant de manger. Les repas rythment la journée, qui finit tôt : Angèle se couche à 20h et se lève vers 5h.  

En parallèle du marché local où elle vend ses produits bios tous les mardi, Angèle exporte aussi des paniers de fruits et légumes de saison et du jasmin ou du riz à Bangkok. Il lui suffit de poster ses produits sur Facebook pour les vendre : la demande fuse. 

Le public visé : des familles aisées, qui ont les moyens de cette qualité plus élevée. Selon une étude de l’IFAMA, le consommateur de bio en Thaïlande est une consommatrice, âgée d’environ 35 ans, mère de famille, éduquée et ayant un niveau de vie élevé. Pour l’instant, le bio reste un luxe que l’on ne peut pas toujours s’offrir.

L’indépendance financière, porte vers la liberté…

En plus de son objectif de bâtir un réseau d’auto-suffisance alimentaire dans son village, Angèle ambitionne sa ferme de devenir un centre d’apprentissage de l’agriculture biologique. Elle accueillerait autant de touristes curieux que de Thaïlandais désireux d’abandonner l’agriculture conventionnelle.

Très influente, au caractère bien trempé, elle travaille également avec le ministère thaïlandais de l’agriculture, pour que ces thématiques de permaculture prennent plus de place dans la sphère publique.

Et dans la vie quotidienne, qu’est-ce que ça donne de vivre de son jardin ? Ça n’est pas toujours facile. Si Angèle a pu gagner sa vie très correctement par le passé, en travaillant plus de 30 ans avec son ONG qui lui a permis de voyager à travers le monde, elle possède désormais des revenus modestes.

Toutefois, ce retour à une vie simple est volontaire. « Ça ne fait que 5 mois que je suis venue m’installer ici. Mon ONG voulait me muter au Myanmar, mais je voulais rester en Thaïlande, auprès de ma mère. », raconte Angèle.

Elle a donc quitté son travail et est revenue à ses terres natales afin de construire sa maison, élargir ses cultures et surtout s’occuper de sa mère – fait très courant dans la culture thaïe, où les aînés sont vénérés.

Une structure d’accueil pour les volontaires

Angèle accueille régulièrement des volontaires qui la trouvent par workaway, où qui se retrouvent chez elle par le bouche-à-oreilles. Cuisiner, utiliser du bambou pour la construction, couper les noix de coco à la machette, connaître les besoins des plantes, s’occuper des arbres de façon intelligente : autant d’apprentissages qu’Angèle enseigne à ses volontaires.

Alors que son ancien travail lui aurait permis de construire rapidement sa maison, Angèle envisage l’avancement des travaux au rythme de ses rentrées d’argent. Les temps sont durs ? Elle passe une flopée d’appels, et les baths rentrent dans les caisses. Elle peut compter sur ses nombreux amis ou anciens volontaires pour la soutenir. En attendant, Angèle dort dans sa voiture, sans que ça ne lui pose de problème.

Son indépendance par rapport à l’argent et au confort lui donne une liberté peu commune. La résilience est très marquée chez cette femme forte, énergique et lumineuse. Jeune dans sa tête, elle multiplie les projets et les rêves comme si elle avait 30 ans de moins. Elle vit selon son style et le répand autour d’elle, contribuant à rendre la vie des gens autour d’elle meilleure… et l’environnement plus sain.

La permaculture s’impose doucement mais sûrement

Green Angel est un personnage emblématique de la croissance de l’intérêt pour la permaculture en Thaïlande. 

Ce terme sonne de plus en plus familier, et ce partout dans le monde. A contrario de l’agriculture conventionnelle, qui utilise largement les pesticides pour produire et qui conduit à la surexploitation des sols et leur appauvrissement, la permaculture crée des écosystèmes diversifiés, stables et durables.

Elle amène donc les agriculteurs à envisager leur production en accord avec le fonctionnement de la nature. En utilisant certaines de ses propriétés, l’agriculture biologique les amène donc à imaginer des solutions pour produire mieux en délaissant la chimie. Tout un art.  

De nombreux petits agriculteurs ont franchi le cap. Nombre d’entre eux ont constaté l’appauvrissement de leurs sols à cause des pesticides ; continuer à les utiliser et à alimenter ce cercle vicieux, reviendrait à condamner leur terrain et diminuer durablement leur productivité. 

A court terme, il est difficile d’envisager le changement de son type de production. Abandonner les pesticides revient à renoncer à la certaine productivité qu’ils permettent. Toutefois, à long terme, l’agriculture biologique devient plus rentable, du fait de la bonne qualité des sols. 

Les volontariats dans les fermes bios pullulent en Thaïlande

A l’image de l’accueil qu’Angèle fait à des volontaires, sur les sites woofing and workaway, nombreuses sont les propositions de volontariat dans des fermes bio disséminées dans la campagne thaïlandaise, en particulier dans le nord du pays.

Les amateurs de tourisme alternatif, dont beaucoup proviennent de pays occidentaux, affluent pour non seulement apprendre sur la permaculture et une exploitation respectueuse de la nature, mais aussi sur la culture et le mode de vie thaï. 

Le concept : en échange d’un toit et de nourriture, les volontaires apportent leur aide aux hôtes dans leur tâches quotidiennes, pour développer leur ferme. 

Quand « sortir des sentiers battus » devient de plus en plus recherché lors de voyages, ce type d’expérience gagnante-gagnante est en vogue pour les touristes : acteurs de leur séjour, ils en ont un souvenir authentique.

Et bien sûr, en plus d’ouvrir les horizons, ces volontariats ont un impact environnemental et social positif.

2 comments
  1. Merci pour cet article fort intéressant qui nous montre une autre image de la vie en Thaïlande.
    Peut être une idée à approfondir? Tous les jours une belle news.
    En tout cas merci pour votre travail, un vrai plaisir de venir sur votre site.
    Phil de Genève

  2. Dans l’angoisse que nous vivons, enfin une nouvelle rassurante

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