Motion de censure, manifestations quotidiennes de l’opposition et inflation galopante: le gouvernement Samak se trouve dans une position difficile. Presque deux ans après le coup d État de septembre 2006, la situation en Thaïlande apparaît plus imprévisible que jamais. Personne ne croit en la longévité de l’actuel gouvernement, dont le premier ministre est un homme politique usé ne jouissant d’aucune crédibilité.

«Bien que seulement quatre mois soient écoulés, le gouvernement de M. Samak a causé de sérieux dégâts au pays en raison d’une inefficacité et d’une désunion», affirme la motion de censure que l’opposition thaïlandaise souhaite voir examinée avant le 28 juin, date de la fin de la session parlementaire.

Cette motion de censure a cependant des chances infimes d’être adoptée: le Parti du pouvoir du peuple (PPP), de M. Samak a largement remporté en décembre dernier les élections législatives, les premières après de seize mois de régime militaire. Il dirige une coalition parlementaire forte de 316 des 480 sièges à la chambre basse du Parlement. Ces débats sont de toutes façons suivis par une infime partie de la population, davantage préoccupée par les problèmes économiques. Alors que la Thailande aurait besoin d’une direction forte pour remédier à la crise économique, dont les effets sont chaque jour plus perceptibles pour la population, le pays est dirigé par un gouvernement qui semble subir la conjoncture sans vraiment chercher à l’influencer.

Les raisons de cette apathie politique sont multiples. La composition du gouvernement en premier lieu: la plupart des membres de l’actuel gouvernement, y compris le premier ministre, ne sont que des marionnettes au service de l’ex administration M.Thaksin. Ils ne prennent aucune décision sans en référer à M.Thaksin directement, ou à l’un de ses proches conseillers. M.Samak est aussi connu pour son caractère imprévisible, et a déjà du plusieurs fois piteusement revenir sur des décisions annoncées à chaud, et visiblement sans concertation. Ce fut le cas la semaine dernière lorsqu’il avait annoncé vouloir dégager les manifestations de l’opposition par la force, avant de se rétracter brusquement dès le lendemain.

Bon nombre des décisions de l’actuel gouvernement semblent davantage destinées a la défense des intérêts de M. Thaksin et de sa famille, que par la volonté de résoudre les problèmes de la Thailande.

Le référendum sur la modification de la Constitution en fait partie: cette réforme à pour principal objectif d’extirper les articles (et seulement ceux là) qui ont servi de base légale au bannissement de M. Thaksin et de 111 de ses infortunés acolytes après le coup d’Etat. Un autre article visé n’est autre que celui qui a servi à mettre en place la Commission chargée d’enquêter sur les avoirs de M. Thaksin et d’instruire les principales accusations de corruption à son encontre.

Car en attendant un éventuel procès, près de 2 milliards de dollars d’actifs appartenant à M. Thaksin sont toujours bloqués: sans cet argent, l’ex premier ministre ne peut envisager un come back sur la scène politique, car personne ne prend au sérieux ses déclarations sur son retrait définitif de la vie politique.

Mais au delà de ces manœuvres purement politiciennes, ce qui se déroule en ce moment en Thailande, c’est bien une lutte en coulisse entre deux conceptions radicalement opposées du pouvoir.

La méthode Thaksin repose avant sur une conception plus moderne de la démocratie, avec un penchant appuyé pour l’affairisme et le libéralisme économique. Cette conception repose sur des élections démocratiques certes, mais aussi sur une forme d’appel direct au peuple qui tend à court circuiter les intermédiaires habituels du pouvoir. Pendant ses cinq années de pouvoir incontesté (2001 à 2006) Thaksin a introduit une nouveauté dans la vie politique sous forme d’ un pouvoir qui s’appuie directement sur un parti de masse populiste (l’ex TRT, ressuscité en tant que PPP) et ancré sur une solide base populaire. Cette conception moderniste (bonapartiste pour certains car elle a conduit à une extrême concentration du pouvoir) ne pouvait que heurter les tenants d’un autre système, où l’armée et les milieux traditionnels proches du palais royal conservent une large influence, en dehors des mécanismes formels du système démocratique.

Aujourd’hui les cartes sont brouillées car la modification de la Constitution que propose l’actuel gouvernement ne sert en rien un retour vers plus de démocratie et de respect pour la souveraineté populaire. Deux ans après le coup d’Etat, le blocage persiste et continue de plomber la vie politique thaïlandaise.

Une chose semble cependant acquise: la réinstallation de Thaksin et de ses colistiers dans leurs privilèges serait un revers inacceptable pour les généraux et les milieux conservateurs qui ont soutenu la junte de septembre 2006. Dans ces conditions, les récentes rumeurs de coup d’Etat peuvent être perçues comme autant d’avertissements envoyés à l’actuel gouvernement afin qu’il renonce à restaurer le statu quo ante et s’engage sur la voie d’un compromis.

1 comment
  1. Très bien!!!!! Un papier d’analyse qui permet de mieux comprendre la politique en Thailande

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