L’affaire tombe plutôt mal : juste au moment où les grandes entreprises thaïlandaises font la une de la presse financière mondiale avec les récentes acquisitions de sociétés étrangères par des grands groupes locaux tels que ThaiBev et CP Group.

La plus grosse OPA jamais réalisée en Thaïlande, le rachat de Makro par le groupe CP, pourrait aussi déboucher sur un énorme scandale financier, en tout cas à la mesure des sommes en jeu. Ce serait aussi une grande première pour la SEC thaïlandaise qui jusqu’à présent n’a jamais instruit une seule grosse affaire malgré les nombreuses malversations financières qui font régulièrement la une des journaux. Après avoir constaté des mouvements de prix d’actions inhabituels, les autorités thaïlandaises ont tardivement lancé une enquête sur l’OPA de  6,6 milliards de dollar de CP sur Siam Makro, dont 64 % est détenu par un conglomérat néerlandais SHV Holdings.

    Si la Thaïlande veut se joindre aux grands marchés de capitaux, à côté de Hong Kong et Singapour, les régulateurs financiers ont besoin d'une sérieuse mise à niveau
Si la Thaïlande veut se joindre aux grands marchés de capitaux, à côté de Hong Kong et Singapour, les régulateurs financiers ont besoin d’une sérieuse mise à niveau

Le prix de l’action de Siam Makro a augmenté de près de 60 % depuis le début de l’année, une hausse assez inhabituelle même dans le contexte de la bourse thaïlandaise.  Malgré cela, CP a proposé au moment de son OPA,  un prix supérieur de 40% au prix moyen de l’action sur les 20 jours précédant la transaction, provoquant de nombreux commentaires sur le prix anormalement élevé de l’acquisition.

L’acquisition de Makro présente un intérêt certain pour CP : les forces combinées de CP et Siam Makro permettront également à CP de préparer son expansion pour bénéficier de la libéralisation du commerce dans le cadre de la Communauté économique de l’ASEAN après 2015.

Une partie de la prime élevée payée par CP peut être attribué à une rumeur de contre-offre, qui s’est révélée être fausse par la suite,  en provenance de ThaiBev dirigée par le magnat du whisky et des boissons alcoolisées Charoen Sirivathanabhakdi. Mais d’autres explications sont possibles. De nombreux investisseurs étaient au courant que SHV et CP ne sont pas étrangers : Siam Makro a été créé par une joint-venture entre le groupe CP et SHV ​​en 1988, mais CP a dû vendre sa participation pendant la crise financière de 1997.

CP et son patriarche, Dhanin Chearavanont, aurait alors fait le projet de racheter ce qu’il possédait en préparant son OPA avec SVH, non pas comme une prise de contrôle hostile.

Les autorités vont maintenant enquêter pour savoir si les personnes ayant une connaissance préalable de l’affaire auraient pu utiliser cette information pour permettre un enrichissement illégal, connu comme délit d’initié. Ceux ayant accès à ces renseignements d’initiés pourraient comprendre des professionnels dans le secteur bancaire, du courtage et des  cabinets juridiques spécialistes du droit des sociétés.

Une SEC dépourvue de véritables moyens

La Securities and Exchange Commission, est l’organisme de règlementation financière de la Thaïlande, qui a le pouvoir de lancer ses propres enquêtes sur les allégations de malversations financières, y compris les délits d’initiés. Mais les fonctionnaires thaïlandais de la SEC ne partagent en vérité que l’acronyme avec leurs homologues américains, car leurs moyens sont considérablement moindres.

Si la Thaïlande veut se joindre aux grands marchés de capitaux, à côté de Hong Kong et Singapour, les régulateurs financiers ont besoin d’une sérieuse mise à niveau

Estiment Pavida Pananond et Thitinan Pongsudhirak dans le Financial Times. .

La SEC exerce ses activités en vertu d’une loi datant de 1992 qui est actuellement en train d’être renforcée pour inclure des sanctions civiles plus sévères – en plus de poursuites pénales. Une réforme attendue depuis longtemps et qui devra changer l’attitude des grandes sociétés en Thaïlande, dont l’actionnariat et la gestion manquent souvent de transparence.

L’enquête judiciaire sur le rachat de Siam Makro pourrait également impliquer le Département des enquêtes spéciales (DSI), l’équivalent thaïlandais du FBI.

Le problème c’est que en plus de 20 ans, la SEC de 1992 n’a jamais instruit une seule grosse affaire ou amené un seul gros poisson devant la justice. Quelques avocats et courtiers ont reçu une amende ici et là. Seule une poignée de personnes ont été condamnées pour des crimes financiers, datant pour la plupart de la crise financière de 1997. Personne n’a jamais fait de la prison comme aux Etats Unis.

Au pire, une amende attend les coupables, souvent très inférieure aux profits escomptés. Ces conditions font que les investisseurs abordent encore le marché thaïlandais avec prudence. Hong Kong et Singapour prévoient des garanties et des normes beaucoup plus strictes et plus fiables. A Bangkok, les investisseurs disposent en fait d’assez peu d’informations sur les entreprises en raison de la structure de l’actionnariat souvent compliqué et du verrouillage de l’information qui prévaut dans les plus grands conglomérats thaïlandais.

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