Un nouveau rapport vient d’être publié sur l’expérience thaïlandaise en matière de distribution gratuite de médicaments antirétroviraux (ART) à des personnes vivant avec le SIDA.

Cet article, qui s’appuie sur l’expérience de la Banque mondiale et du ministère thaïlandais de la Santé publique, montre que même des pays en développement, ne disposant que de peu de ressources, sont capables de mettre à la disposition d’une grande majorité de leurs citoyens qui vivent avec le VIH et le SIDA une thérapie susceptibles de leur sauver la vie.

Selon l’ONUSIDA, sur les 40 millions de personnes infectées par le VIH, entre 5 et 6 millions pourraient profiter immédiatement des ART. Mais à l’heure actuelle, à peine 700.000 personnes sont traitées avec cette nouvelle thérapie.

La Thaïlande est l’exception : en mai 2006, elle offrait cette thérapie à environ 78.000 patients atteints du SIDA, soit plus de 90% de ceux qui avaient besoin d’un traitement.Le nouveau rapport intitulé « The Economics of Effective AIDS Treatment : Evaluating options for Thailand” (Analyse économique d’un traitement efficace du SIDA: Évaluation des options stratégiques pour la Thaïlande) expliquecomment ce pays a réussi à fournir à un prix abordable des ART à plus de 90.000 Thaïs atteints du SIDA.

Ce succès est le résultat de plusieurs facteurs : des campagnes de prévention très efficaces au cours des années précédentes, un vaste réseau d’hôpitaux au niveau district et de centres de santé en milieu rural, équipés pour le traitement à grande échelle, une communauté d’ONG très dynamique qui a collaboré étroitement avec le gouvernement pour mettre en place un programme élargi d’ART, et la participation très active des personnes vivant avec le VIH/SIDA elles-mêmes.

« Le programme ART de la Thaïlande est un véritable phare qui peut inspirer les autres pays en développement qui recherchent comment traiter leurs populations atteintes du VIH à un point avancé, » dit Ana Revenga, co-auteur du nouveau rapport et économiste principale au département Asie de l’Est et Pacifique de la Banque mondiale.

« Il est clair que la Thaïlande a réussi à mettre en place un traitement universel et fait donc partie, à juste titre, du peloton de tête des pays en développement qui cherchent à fournir des thérapies antirétrovirales et à en faire la norme de soins de la grande majorité des personnes symptomatiques de la maladie du VIH ».

Depuis que le premier cas du SIDA en Thaïlande a été rapporté en septembre 1984, plus d’un million de Thaïs ont été infectés avec le VIH, dont plus de 400.000 sont déjà décédés. En 2004, on estimait à 572.500 le nombre de Thaïs vivant avec le VIH/SIDA. Parmi ces derniers, près de 49.500 avaient contracté des maladies graves liées au SIDA au cours de l’année, et un nombre identique était mort de complications dues au SIDA. On estime à 19.500 le nombre de nouvelles infections qui se sont produites depuis 2004.

Il y a toujours eu, en Thaïlande, une forte volonté politique de soigner et aider les personnes vivant avec le VIH/SIDA, mais ce n’est que tout récemment que le pays a pu organiser sur une grande échelle la distribution de la trithérapie ART aux personnes symptomatiques infectées par le VIH.

Le programme ART thaïlandais permet en effet de fournir une thérapie abordable combinant 3 médicaments (stavudine + lamivudine + nevirapine) fabriqués localement, pour environ 30 dollars EU par mois, ce qui a permis au ministère de la Santé publique (MOPH) d’en faire la norme de soins pour la grande majorité des patients.

Le rapport explique que dans quelques années, au fur et à mesure que la durée de vie des patients atteints du SIDA s’améliore grâce à l’ART, le système de santé thaïlandais aura à prendre soin non seulement de 10.000 à 20.000 nouveaux cas par an, mais aussi de la plupart de ceux dont les vies ont été prolongées de façon importante grâce à l’ART. La Thaïlande semble en bonne place pour relever ce défi : si le pays peut aujourd’hui envisager d’offrir des soins à tous ceux qui en ont besoin, c’est qu’il a fait jadis des efforts remarquables en matière de prévention.

Les auteurs de la Banque mondiale estiment que sans les campagnes de prévention efficaces organisées pendant plusieurs années, la Thaïlande aurait aujourd’hui 7,7 millions de cas de VIH et 850.000 cas de SIDA en 2005, soit environ 14 fois plus que le nombre actuel. Traiter à l’ART un nombre aussi important de patients aurait été beaucoup plus onéreux, et le fardeau financier n’aurait fait qu’augmenter au cours de la prochaine décennie. Il est probable que les efforts importants de prévention entre 1991 et 2002 auront épargné à la 18,6 milliards de dollars EU en frais de traitements à l’horizon 2012.

« Nos projections montrent qu’en l’absence du programme de prévention du VIH extraordinairement efficace de la Thaïlande, le coût de l’accès universel au traitement aurait été probablement 10 fois plus important qu’aujourd’hui, et en 2013, aurait atteint plus de 330% de l’ensemble du budget de la santé, » explique Mead Over, un autre co-auteur et économiste principal de la santé à la Banque mondiale.

« Les succès antérieurs de la Thaïlande en matière de prévention constituent la raison la plus importante de la capacité du pays à pouvoir offrir un accès universel aux ART, non seulement aujourd’hui mais aussi dans l’avenir. »

Selon Over, chaque dollar investi dans la prévention aura probablement épargné à la Thaïlande 43 dollars EU en coût de traitement. Il est improbable que tout autre investissement du gouvernement thaïlandais ait pu réaliser un ratio coût : avantage aussi élevé. Les ministères des Finances de pays tels la Chine et l’Inde, où l’épidémie du VIH/SIDA est encore à un stade précoce, devraient prendre conscience de l’extrême rentabilité des campagnes de prévention VIH/SIDA et appliquer ces leçons à l’affectation des crédits en préparant leurs budgets nationaux.

Bien que la Thaïlande ait réussi à diminuer le nombre de nouvelles infections, la prévalence du VIH parmi les groupes à haut risque reste élevée, en particulier parmi ces groupes que les efforts de prévention du passé n’ont pas explicitement ciblés, tels les toxicomanes utilisant des drogues par injection, et les prostitués masculins. Il y a également des signes que l’effet des campagnes de prévention passées est en train de s’estomper. Des enquêtes récentes montrent une augmentation en 2002 et en 2003 du pourcentage de conscrits masculins dans l’armée faisant état de relations sexuelles avec des prostituées, alors que ce pourcentage avait baissé pendant plusieurs années. On observe cette même tendance a parmi les militaires mariés ayant des rapports sexuels en dehors du mariage avec des partenaires sexuels féminins. L’utilisation de préservatifs chez les hommes dans l’armée reste peu élevée : à peine 59% font état d’une utilisation systématique de préservatifs avec des prostituées, et à peine 25% les utilisent avec des partenaires sexuels féminins non réguliers. De nouveaux comportements à risque par d’autres groupes, tels les jeunes, doivent également être pris en compte.

Les ONG aident à assurer l’adhésion au traitement

Un autre élément essentiel du programme de traitement élargi de la Thaïlande est l’implication active des groupes d’ONG, tel Médecins sans frontières (MSF), la Croix rouge thaïlandaise, mais aussi de groupes formés de personnes vivant avec le VIH/SIDA (les PHA), qui fournissent des compléments de soins dans les hôpitaux publics à des patients qui, comme eux, sont atteints de la maladie. En plus de fournir des médicaments, MSF offre également des consultations, et des visites à domicile, l’organisation de conférences de cas, et des formations qui s’adressent à la fois au personnel hospitalier, et aux personnes vivant avec le VIH et le SIDA.

Les patients qui reçoivent l’ART dans ce type d’environnement caractérisé par un support plus important du patient fait de consultations de suivi et de conseils plus fréquents, et faisant intervenir dans le rôle de conseillers des personnes ayant elles-mêmes le VIH, ont un avantage que n’ont pas ceux qui reçoivent l’ART sans cette aide apportée par les ONG. Un des premiers bienfaits de cet environnement plus généreux en termes d’appui au malade est d’aider les patients à adhérer de façon plus stricte à la trithérapie. L’expérience du MSF sur les trois dernières années montre que les PHA ont réussi à améliorer considérablement le taux d’adhésion, une contribution qui s’explique par leur volonté d’aider leurs compagnons d’infortune en partageant leur expérience. Mais pour pérenniser ce succès, il faut continuer à les former et à coordonner leurs activités, ce qui demandera un financement à long terme et un appui technique continu.

Pour le rapport, il n’y a pas de doute que le travail des PHA a permis au gouvernement d’augmenter rapidement l’échelle du programme ART. Le changement de rôle des PHA dans les soins de santé, passant de l’état de patient à celui de co-prestataire de soins, a permis de les faire mieux accepter par le personnel de santé, et d’obtenir l’appui de ce dernier. De plus, les contrôles de santé accrus dont jouissent les PHA ont amélioré l’image qu’ils ont d’eux-mêmes, rehaussé leur confiance en eux et leur ont rendu leur dignité. MSF a agi en tant que « pont » entre les PHA, les bailleurs de fonds et le gouvernement.

« J’ai travaillé avec l’organisation « Personnes atteintes du VIH et du SIDA en Thaïlande » pendant neuf ans. Avec l’élargissement de l’accès au traitement antirétroviral, j’ai observé un changement d’attitude auprès de nombre d’entre eux, passant du désespoir le plus total à l’optimisme. Ils veulent aujourd’hui partager leur expérience positive du traitement avec leurs amis, et ce faisant, aider d’autres à avoir accès aux médicaments qui leur ont permis d’avoir une vie nouvelle. Ils sont en fait devenus les instruments vivants de l’adhésion au traitement, » explique le docteur David Wilson, coordinateur médical de Médecins sans frontières en Thaïlande.

Perspectives d’avenir.

Ce nouveau rapport conclut que le défi le plus important pour les responsables stratégiques de la santé en Thaïlande sera d’éviter un relâchement de la vigilance et de renforcer la synergie entre traitement et prévention. Cette approche va demander un transfert de responsabilités à la fois pour le traitement et la prévention aux provinces, voire à des niveaux plus bas de l’administration, de telle sorte que les entités administratives qui auront réussi dans le domaine de la prévention pourront également enregistrer des économies dans les coûts de traitement.