Le gouvernement de Somchai Wongsawat était déjà moribond, la cour suprême de Thaïlande s’est chargé aujourd’hui de l’achever, en prononçant la dissolution de son parti, le PPP pour fraude électorale. Concrètement cela signifie que l’actuel premier ministre est interdit d’activité politique pendant cinq ans, à l’instar de son illustre prédécesseur (et beau-frère), Thaksin Shinawatra. Cette condamnation ouvre cependant la voie à un règlement pacifique de la crise actuelle, et à l’évacuation des aéroports de Bangkok, puisque la principale revendication de la PAD se trouve de fait satisfaite. L’actuel premier ministre n’a désormais pas d’autres choix que de démissionner.

Cette mesure radicale a été rendue possible en vertu de la nouvelle Constitution adoptée en août 2007 par les militaires putschistes pour remplacer celle de 1997. Cette constitution voulue par les militaires comporte un article (critiqué par le PPP qui voulait le supprimer) selon lequel l’ensemble d’un parti peut être dissous, si un seul de ses responsables est reconnu coupable de fraude électorale. L’histoire semble se répéter en Thaïlande, puisque le PPP est lui même un parti politique formé sur les ruines du TRT (Thai Rak Thai) de Thaksin, précédemment dissout lui aussi pour fraude électorale.

Somchai Wongsawat, ex premier ministre interdit d'activité politique pour 5 ans en Thailande.

Le puissant homme d’affaire Thaksin s’est fait de puissants ennemis dans la société thailandaise, qui ont visiblement décidé de lui faire payer jusqu’au bout son audace. Au delà des affaires de corruption qui lui sont reprochées, son tort est surtout d’avoir fait exister, (pour soutenir son parti et ses intérêts personnels, certes), une partie de la population qui n’avait jusqu’alors pas droit au chapitre. Les populations défavorisées rurales et urbaines, souvent originaires des régions pauvres de l’est de la Thaïlande, ont soudain représenté un véritable enjeu politique et ont pris conscience de leur importance. Le fait que les partisans de Thaksin ait remporté les élections (et remporteront probablement les prochaines) ne semble pas être en mesure d’influencer les milieux conservateurs qui soutiennent la contestation et les occupations sauvages de la PAD.

Thaksin et ses partisans sont certes,une nouvelle fois, condamnés avec cette décision, mais la mal nommée PAD (People alliance for democracy) pourrait aussi être jugé pour publicité mensongère. Son programme politique défend davantage un recul de la démocratie, et s’appuie sur une conception élitiste du pouvoir. Elle milite pour un Sénat nommé au deux tiers, ce qui bénéficierait à l’élite politique traditionnelle thaïlandaise, la bureaucratie, et les militaires. Spectaculaires, les actions de la PAD n’en sont pas moins très minoritaires et s’apparentent plus à des coup de main “gauchistes” qu’à une véritable contestation s’appuyant sur un mouvement de masse.

Après un coup d’état militaire pour éjecter Thaksin, une occupation sauvage des aéroports de Bangkok et enfin une dissolution pour écarter les alliés de Thaksin du pouvoir, les puissantes forces conservatrices qui veulent reprendre le contrôle de la Thaïlande ont montré qu’elles ne reculeront devant rien. Mais jusqu’où peuvent-elles aller dans la négation des droits de la majorité, et de ses représentations légalement élues ? Le moment est décisif, car il est propice à une clarification salutaire. La Thailande est-elle une démocratie parlementaire dont le pouvoir est issu des urnes, ou un régime néo féodal ou une minorité agissante peut toujours se réapproprier le pouvoir à sa guise ?

9 comments
  1. “les nouvelles élections auraient été fixée au 11 décembre 2008.”
    Ce ne sont pas “les nouvelles élections”, mais les élections partielles nécessaires après le bannissement des cadres exécutifs des partis dissous.
    Les élections “générales” n’ont pas encore de date fixée, l’Aseemblée n’ayant pas été dissoute !

  2. “Après 20 ou 30 ans, il sera temps de radoucir ces lois, l’habitude de fraude (et de corruption) sera perdue …”
    Ca me fait sourire, personnellement je pense que certaines choses sont dans la culture 🙂 Je fais référence au réflexe assez marqué en Thailande de “s’aider entre amis”, en business et partout ailleurs…

    Concernant le coup d’état, lorsqu’on voit des manifestants fortement minoritaires prendre impunément en otage des aéroports internationaux, sans réaction des forces de l’ordre, et accroitre la tension jusqu’à déclencher la chute d’un gouvernement, je crois qu’on peut dire qu’ils viennent d’inventer un nouveau type de coup d’état.

    M. Duboc, sans rentrer trop dans les détails, quand je pense à Nicolas Sarkozy et son réseau à la tête des agences de presse et des industries, sans oublier ses options dans la justice de notre pays, je me demande bien comment (ou comme qui) il aurait évolué en Thailande…

  3. D’après thailand-world.com (http://www.thailand-world.com/+Elections-le-11-decembre+.html) reprenant une news de bangkokpost.com, les nouvelles élections auraient été fixée au 11 décembre 2008. Les partisans sincères et honnêtes de M. Thaskin auront largement assez de temps pour se préparer. Ceux qui croient encore au Père Noël démocratique de la PAD feraient bien de se réveiller et de redescendre sur terre… quant à Angelo Michel, il doit considérer que les procédures judiciaires des régimes totalitaires sont régulières, leurs Hautes Cours étant indépendantes ! Au delà de toute analyse sémiologique tatillonne sur le terme de “coup détat” reste la triste réalité du dénis de justice envers les électeurs qui avec ou sans tricherie se sont prononcés pour le PPP. Ils continueront si ils en on la possibilité…

  4. “Coup d’Etat” Ce terme est un faux sens absolu pour désigner ce qui vient de se passer !
    Il s’agit dans cette dissolution de la simple (et mécanique) application des lois constitutionnelles du pays. Les tentatives de “coup d’Etat”, ce sont les “chemises rouges” dans la rue qui les ont conduites en tentant d’empêcher la Cour d’émettre son verdict.

  5. Ce qui détermine l’impartialité d’une Haute Cour, c’est son indépendance !
    Elle applique des textes de loi qui presctivent en l’occurence la dissolution, la décision était donc inévitable.
    En ce qui concerne la sévérité de ces lois vis-à-vis de la fraude, je veux bien que ce soit sévère mais, sachant qu’en Thaïlande la fraude est organisée, comment la combattre si seuls ceux qui sont pris “la main dans le sac” sont punis ? Une loi plus léniente serait totalement inutile, il suffirait que chaque parti désigne un “responsable pour la fraude” dans ses rangs et le tour serait joué !
    N’oublions pas l’ancrage très profond de la fraude et de la corruption dans ce pays, çà justifie des lois très sévères pour le “sortir du fond du trou” ou il se trouve.
    Après 20 ou 30 ans, il sera temps de radoucir ces lois, l’habitude de fraude (et de corruption) sera perdue …

  6. @ Pascal Engelmajer

    Vous sous-estimez gravement le niveau de corruption de la classe politique française qui a été classée la plus corrompue du monde industrialisé par l’Institut of European Affairs (IEA / Londres) en juin 2006.

    Je maintiens mon soutien à la jeune démocratie Thaï qui me semble bien plus vigoureuse que la nôtre car la République Française est tenue par une classe de Gérontocrates mafieux, corrompus, et lâches, mais aussi par des Enarques qui tiennent à leur carrière et sont donc, par cela même, incapables de provoquer des ruptures.

    Notre démocratie est à l’agonie.

    Mais il est tout à fait possible que Nicolas Sarkozy change tout ceci.

    Jean-Charles Duboc

  7. Je suis atterré de l’opinion de Jean-Charles DUBOC “Au moins la cour constitutionnelle thaïlandaise est un authentique garant de la démocratie, ce qui n’est pas le cas en France où, ni la Haute cour de justice, ni le Conseil constitutionnel, n’ont jamais dissolu un parti politique ou rendu inéligible pendant cinq ans un Président de la république reconnu coupable de corruption !!…”
    La Cour constitutionnelle à été mise en place par la Constitution d’aout 2007, sous l’impulsion d’une junte militaire, en décembre 2007 juste avant les élections. L’ensemble d’un parti peut être dissous en Thaïlande si un seul de ses responsables est reconnu coupable de fraude électorale. Et reconnu coupable par qui ? Par des juges affidés aux militaires et à l’extrême droite.
    Jean-Charles a une idée bien spéciale de la justice. En France les juges et les conseillers aussi, sont nommés par le pouvoir politique, de ce fait vont dans son sens (et que dire du rôle de la Cour suprême au États-Unis qui a “élu” Bush contre les résultats du vote ?).
    Et pour finir avec une note d’humour, je trouve amusant de souhaiter aux partis politiques d’être dissolu par les plus hautes juridictions de l’état ! Jean-Charles demande que les sybarites que nous élisons soient encore plus dépravés qu’ils ne le sont ! La langue française est bien plus redoutable que la langue thaïe ! (dissolu : livré à la dissolution, à la débauche.)… et j’éviterai les sarcasmes au sujet d’un pays jeune dont la fondation remonte au moyen-âge ; la fondation de la France est traditionnellement fixée à 486, il est vrai. Mais peut-être JC ignore-t-il qu’il y a peu de temps la Thaïlande s’appelait Siam ?

  8. Kanchanaburi, c’est une grande tristesse dans le petit peuple, celui qui a bénéficié des réalisations sociales du gouvernement de Thaskin.
    Comme le souligne l’article de Thailande-fr, ils étaient en train de prendre conscience de leur poids dans un système démocratique : un homme une voix.
    C’est bien ce qui faisait le plus peur aux réactionnaires qui agissent dans le PAD. Leurs alliés contre nature des classes moyennes vont payer très cher cette rébellion, les pauvres eux sont déjà pauvres. Les investisseurs vont hésiter devant les incertitudes d’une situation où rien ne sera réglé. Le tourisme va chuter de moitié selon les prévisions les plus optimistes, et surtout il est à craindre que le terrorisme, les bombes et les grenades ne deviennent le seul moyen d’expression des exclus…

  9. Au moins la cour constitutionnelle thaïlandaise est un authentique garant de la démocratie, ce qui n’est pas le cas en France où, ni la Haute cour de justice, ni le Conseil constitutionnel, n’ont jamais dissolu un parti politique ou rendu inéligible pendant cinq ans un Président de la république reconnu coupable de corruption !!…

    Chez nous le Conseil constitutionnel a eu pour principale utilité de rendre « intouchable » Jacques Chirac, alors Président de la République.

    Nous ferions bien de prendre exemple sur la Thaïlande qui est un pays jeune, et qui le montre…

    Jean-Charles Duboc

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