En apparence rien n’a changé en Thaïlande : le parti pro Thaksin (Pheu Thai) a remporté les élections (en termes de sièges au Parlement) mais il sera sans doute évincé du pouvoir d’une manière ou d’une autre.

En effet, les élections de la semaine dernière – les premières depuis le coup d’État militaire de 2014 – ont sans doute ouvert la voie à une impasse politique prolongée, car aucun parti n’a obtenu la majorité des sièges parlementaires nécessaires pour gouverner.

Selon Parinya Thewanaruemitkun, juriste thaïlandaise spécialisée en droit public et vice-recteur à l’ Université de Thammasat qui s’exprimait au FCCT le 28 mars.

Le général Prayuth pourra se faire élire comme Premier ministre avec l’appui du Sénat, mais sans majorité au Parlement il ne pourra pas gouverner et faire voter de lois.

prayut selfie twitter - thailande-fr

Pour contrer le pouvoir de l’armée il faudrait une coalition beaucoup plus large que celle du Pheu Thai, avec le Parti démocrate et le Bhumjaithai, ce qui semble exclu pour le moment.

Parinya Thewanaruemitkun

De nouvelles lignes de fractures

Jusqu’à présent les partis pro Thaksin ont remporté toutes les élections depuis 2001 grâce à leur domination inébranlable sur les régions rurales du nord et le nord-est, qui sont aussi les plus peuplées de Thaïlande.

La polarisation de la Thaïlande est toujours là mais elle n’oppose plus les pro et anti Thaksin comme auparavant. Maintenant c’est plutôt un vote pour ou contre le pouvoir des militaires qui fait la différence.

Siripan Nogsuan Sawasdee, professeur agrégé de sciences politiques à l’université de Chulalongkorn,
reds radjprasong
Le clivage “chemises rouges” contre “chemises jaunes” n’est plus le principal facteur de division en Thaïlande

Thaksin a toujours de très nombreux fidèles dans ces régions, mais la part du Pheu Thai dans le nord a chuté lors de la dernière élection, passant de 80,2% en 2011 à 63,5%.

Quand je me suis rendu dans la ville de Phayao dans la nord de la Thaïlande, un fief du Pheu Thai, j’ai été surpris de voir que c’est le parti pro-armée Palang Pracharat, qui avait gagné les élections.

Mais en réalité le PPRP a copié la stratégie du Pheu Thai en choisissant comme candidat un leader local déjà très implanté qui a séduit les électeurs avec son club de foot.

Panu Wongcha-um, journaliste Reuters Bangkok.

Avant c’était simple : on était pro Thaksin, on votait pour le Pheu Thai, et si on était anti Thaksin on votait pour les Démocrates.

Mais maintenant c’est plus compliqué de se situer quand on se positionne par rapport au pouvoir des militaires : si on est contre les militaires au gouvernement on peut aussi voter pour le parti Future Forward, et c’est ce qu’ont fait beaucoup de jeunes pour qui Thaksin n’est pas une référence.

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Thanathorn Juangroongruangkit, candidat et président du Future Forward Party, avec ses supporters à Bangkok. REUTERS/Soe Zeya Tun

La grosse surprise c’est le score du Future Forward, même dans les régions du nord et du nord-est. C’est en grande partie un vote de génération : pour les jeunes Thaïlandais Thaksin ne compte plus vraiment, et ils ont voté pour le candidat du Future Forward parce qu’ils ont vu Thanathorn (le jeune milliardaire président de Future Forward) à la télé.

David Streckfuss, expert en questions constitutionnelles thaïlandaises et auteur de «La vérité en première instance en Thaïlande: diffamation, trahison et Lese-Majeste»;

Selon Parinya Thewanaruemitkun le scrutin majoritaire à un tour a aussi désavantagé l’opposition par rapport aux militaires car les voix de l’opposition ont souvent été divisée entre le Pheu Thai et le Future Forward qui n’existait pas lors des précédentes élections.

La déroute des Démocrates

La déroute du Parti Démocrate illustre bien ces nouveaux clivages : les partisans du pouvoir militaire ont préféré voter directement pour le parti Palang Pracharat plutôt que pour les Démocrates d’Abbhisit qui se sont montrés assez ambigus sur leur soutien au général Prayut.

Le PRPP (Phalang Pracharat) a remporté une victoire un peu semblable à celle des Républicains aux Etats-Unis, avec un mélange de voix aux deux extrêmes. Il a eu le soutien des élites à Bangkok, où les Démocrates ont perdu tous leurs sièges. Mais il a aussi su jouer en faveur des plus défavorisés avec la “carte de crédit welfare” (Welfare Card) qui a profité à plus de cinq millions de personnes.


Siripan Nogsuan Sawasdee, professeur agrégé de sciences politiques à l’université de Chulalongkorn,
welfarecard - thailande-fr
La Welfare Card, une des mesures sociale qui a permis au Parti Phalang Pracharat de gagner du terrain sur le Parti Pheu Thai