Selon une estimation récente du magazine Forbes, le roi de Thaïlande serait devenu le souverain le plus riche du monde, reléguant la reine d’Angleterre au 12 e rang. Forbes a publié dans son dernier numéro une liste des 15 rois, reines, cheikhs ou princes les plus fortunés, en dehors du classement annuel des milliardaires du magazine: le roi de Bhumibol de Thaïlande est la tête couronnée la plus riche du monde, avec une fortune estimée à 35 milliards de dollars.
Il devance largement le cheikh Khalifa ben Zayed Al Nahian des Emirats arabes unis (23 milliards) et le roi Abdallah d’Arabie Saoudite (21 milliards). Les 2 femmes du classement, les reines Elizabeth II d’Angleterre et Beatrix de Hollande, occupent respectivement les 12 et 14e rangs avec 650 et 300 millions de dollars : à peine 5% de la fortune du souverain thaïlandais.
Signe que la question est sensible : le gouvernement thaïlandais a aussitôt démenti les évaluations de Forbes, en précisant que les chiffres de la revue américaine incluaient les actifs d’une structure financière, le Crown Property Bureau, qui n’appartenait pas en propre au roi, mais à la monarchie, c’est-à-dire à la Thaïlande. Une explication un peu courte, car depuis la révolution de 1932, les avoirs de la couronne et de l’État sont en principe bien distincts et le CPB est bien une sorte de trust appartenant à a famille royale. Comme c’est souvent le cas en Thaïlande, il faut s’accommoder d’une part de flou et d’opacité lorsque le sujet touche à la monarchie. Le manque d’information et le mystère qui entoure le montant véritable des avoirs du roi de Thaïlande, s’explique aussi en partie par des raisons historiques. Le roi possède entre autres beaucoup de terres dans Bangkok, dont l’évaluation n’est pas toujours aisée.
Au fil des années, les journalistes et les universitaires ont essayé d’évaluer la fortune du roi, c’est à dire essentiellement du “bureau des propriétés de la couronne” (Crown Property Bureau, ou CPB), qui gère les avoirs de la famille royale de la Thaïlande. Un sujet délicat, pour ne pas dire tabou, car tout ce qui touche aux affaires du roi est traité avec une extrême retenue dans le royaume de Thaïlande. Au fil de années les estimations ont variés considérablement.
Pendant longtemps sa richesse a été estimée quelque part entre les $2 milliards de dollars cités par le magazine Forbes en 1997 et les 8 milliards de dollars du livre de Michael Backman paru en 1999 : “le côté sombre des affaires en Asie”. En août 2007, Bloomberg a évalué les actions du CPB à 5 milliards de dollars, un chiffre reprit par Forbes un mois plus tard classant le Roi Bhumibol Adulyadej comme le cinquième monarque le plus riche du monde.
Mais en décembre 2007 un nouvel article dans une édition spéciale du “journal de l’Asie contemporaine” indique que ces chiffres sous-estiment de manière significative la richesse du palais. Porphant Ouyyanont, un économiste à l’université de Sukhothai Thammathirat près de Bangkok, estime la valeur du CPB en 2005 à 1.123 trillion de bath, soit environ $33 milliards de dollars aux taux de change d’aujourd’hui. C’est probablement sur cette estimation qu’est basée le nouveau calcul de Forbes.
Dans l’analyse de Porphant, cette énorme marge d’erreur s’explique par l’évaluation des propriétés foncières du CPB. Selon l’universitaire thaïlandais
“tandis que la surface totale possédée par le CPB à Bangkok est connue pour être de 552.18 hectares, il n’y a aucune information disponible pour savoir exactement où cette terre est localisée.”
L’histoire suggère que cette terre soit fortement concentrée dans la zone centrale d’affaires et d’autres secteurs à haut rendement de Bangkok. Porphant a employé les prix fonciers de Bangkok publiés par une agence privée de biens immobiliers pour estimer grossièrement les prix des terres du CPB, aboutissant au chiffre respectable de 30 milliards de dollars. Un montant décidément difficile a estimer puisque Forbes parle plutôt de 1200 hectares dans Bangkok…
La fortune de la monarchie est aussi investie dans des conglomérats représentants 7,5 % des actifs boursiers du pays, selon Bloomberg. Il y a là 30 % de Siam Cement Group, 21 % de Siam Commercial Bank, 87 % de Deves Insurance et, à l’étranger, 87 % du groupe hôtelier Kempinski.
Le sujet risque de froisser la susceptibilité du monarque très attaché à la tradition bouddhiste, et qui aime se montrer humble, et afficher un mode vie frugal en dépit de son immense fortune. Un style radicalement à l’opposé de celui du milliardaire Thaksin Shinawatra, évincé du pouvoir par les militaires en septembre 2006, désormais exilé à Londres et menacé de perdre une partie de ses avoirs (2,2 milliards de dollars) bloqués en Thaïlande.