Qui n’a jamais vu en déambulant dans les quartiers de Patpong, Sukhumvit ou au marché Chatuchak à Bangkok, ces nombreux étals de DVD piratés qui côtoient l’indétrônable sac Louis Vuitton, et auxquels s’ajoutent maintenant les cosmétiques et le Viagra. Phénomène majeur en Thaïlande, la contrefaçon est une activité punie par la loi mais qui reste extrêmement répandue malgré les efforts récents du gouvernement pour enrayer sa progression.

D’apres le dictionnaire, la contrefaçon c’est « l’imitation ou utilisation totale ou partielle d’une marque, d’un dessin, d’un modèle, d’un brevet, d’un logiciel, d’un droit d’auteur ou d’une obtention végétale sans l’autorisation de son titulaire ».

Selon les estimations la vente des produits contrefaisants représente entre 5 et 9% du commerce mondial, soit près de 600 milliard de dollars de profits chaque année.

L’USTR (United States Trade Representative) a identifié cinq endroits dans Bangkok qui figurent sur une liste mondiale de “marchés notoires” pour les marchandises piratées : Pantip Plaza, le centre commercial Mahboonkrong (MBK, photo ci-dessus), Klong Thom Market, Patpong Road et une partie de Sukhumvit Road.

 

La majeure partie de la production se fait en Asie et en Amérique du Sud, le plus gros producteur étant la Chine. Les produits contrefaisants sont ensuite acheminés vers l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Afrique où ils sont vendus.

L’industrie du luxe étant traditionnellement touchée, de nouveaux marchés font aussi leur apparition comme la contrefaçon de produits utilitaires (dentifrices, shampoings, jouets, produits ménagers) depuis les années 90. Le domaine de la santé est aussi affecté, la contrefaçon de médicaments étant de plus en plus répandue et porteuse de dangers pour la santé des utilisateurs.

Thaïlande, paradis de la copie

Il est difficile de passer à coté de la contrefaçon durant un séjour au pays du sourire : DVDs, jeux vidéos, logiciels, montres, vêtements de marque, chaussure, jouets, et même Viagra, tout est disponible aux marches de Patpong ou Chatuchak, pour ne citer qu’eux. Il faut dire que les copies ont de quoi attirer l’acheteur: même si de moindre qualité, elles sont nettement moins chères que les originaux.

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Depuis 2007 la Thaïlande est répertoriée par les États Unis sur leur “liste de surveillance”, qui énumère un certain nombre de pays soupçonnés de ne pas respecter les règles de propriété intellectuelle. Cette liste ne comprend que 9 pays en plus de la Thaïlande (Chine, Venezuela, Russie, Égypte, Argentine, Chili, Israël, Liban, Turquie, Ukraine) et cette classification a depuis le début été considérée comme injustifiée par le gouvernement thaïlandais.

Les touristes le savent bien, et le marché de la contrefaçon constitue un des attraits de la Thaïlande. Pourquoi ne pas profiter de ces produits a moindre cout qu’on ne peut s’accorder ailleurs, lors d’un séjour a Bangkok. L’accès aux produits contrefaisants est très facile dans le pays et le vendeur et l’acheteur connaissent généralement tout deux la véritable nature de la transaction.

De plus, le marché de la contrefaçon bénéficie fortement à l’économie du pays. Même si le secteur est illégal, les recettes engendrées par la vente de produits contrefaisants apportent une aide non négligeable à la population locale. Le nombre d’emplois générés par ce marché, même s’il n’est pas officiellement connu, n’est sans doute pas négligeable.

Du coté de la production de contrefaçons, la Thaïlande se spécialise surtout dans le textile et la joaillerie alors que la Chine se concentre sur les supports multimédia, les chaussures et les parfums.

Un trafic dangereux pour la santé publique

Un des secteurs de plus en plus touché par la contrefaçon est celui des médicaments. Avec un impact direct sur la santé du client, les copies de produits pharmaceutiques sont devenus la cible de plusieurs organisations qui ont pour objectif de stopper ce trafic. Un accablant rapport de l’OMS parle de deux cent mille décès par an liés à une consommation de médicaments contrefaits.

« On rentre donc dans un cercle vicieux puisqu’à l’issue du premier traitement, les populations touchées par la contrefaçon n’ont plus d’argent pour acheter un nouveau traitement qui serait plus efficace »

souligne Anne-Lise Sauterey.

Les zones les plus touchées sont l’Afrique et l’Amérique du Sud ou l’accès à des médicaments peu chers incite les populations locales à acheter des copies. Les  pays du Mekong sont aussi affectés par ce phénomène, en particulier le Laos et la Cambodge. Ces pays a forte ruralité « ont un manque d’accès au médicaments, les services de santé publics n’étant pas disponibles », explique Anne-Lise Sauterey, de l’Observatoire des trafics illicites.

Ces faux médicaments, néfastes pour la santé, sont, soit des produits périmés ou des médicaments contenant peu ou pas du tout de principe actif.

L’effet au niveau de la population, c’est l’utilisation de ressources financières déjà limitées pour acheter des médicaments  inefficaces. – Anne-Lise Sauterey, Observatoire des trafics illicites

Une opération orchestrée entre 2007 et 2008 à la fois par Interpol, l’OMS et la police, a démontré que 38% des médicaments antipaludéen circulant dans la région du Mekong étaient des contrefaçons ne possédant aucun principe actif. Cette étude a aussi révélée que ces copies provenaient du sud de la Chine et circulaient illégalement au Laos, Cambodge, Vietnam et en Thaïlande

De plus en plus d’organisations criminelles se tournent vers le trafic de contrefaçon de produits pharmaceutiques. Beaucoup plus lucratif que le trafic de drogue, les faux médicaments sont aussi plus faciles à transporter de pays en pays, les différences entre vraies et fausses boites de médicaments étant très difficiles à repérer. De plus, les machines à fabriquer ces comprimés sont les même que pour les drogues.

Les outils de la lutte

Bien que la contrefaçon soit présente un peu partout en Thaïlande, son commerce est considéré comme illégal. La production d’objets contrefaisants est sanctionnée d’une amende allant jusqu’à 400 000 bahts et d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à quatre ans d’emprisonnement. Les possesseurs de marques peuvent aussi poursuivre en justice toute personne utilisant leur propriété sans accords préalable.

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En France le simple fait de détenir un produit contrefait peut entraîner des sanctions douanières comme la confiscation des produits contrefaits, une amende allant de une à deux fois la valeur de l’objet authentique et un emprisonnement pouvant atteindre trois ans. Ces peines peuvent aller jusqu’à une amende de cinq fois la valeur de l’objet et un emprisonnement de dix ans quand la contrefaçon est l’objet d’un véritable trafic en bande organisée.

Même si les créateurs et leurs œuvres sont protégés par la loi sur le droit de propriété intellectuelle en Thaïlande, la situation est bien différente sur le terrain.

Chaque année, la police et le gouvernement thaïlandais organisent de grandes rafles dans les quartiers afin de montrer que la lutte est active, le tout couvert par les médias. En 2004, les autorités ont saisis plus de 732 millions de bahts de produits contrefaisants, mais la prise n’était censée représenter que 15% du marche de l’époque. Des campagnes d’information sont organisées afin de changer la mentalité des consommateurs mais avec peu d’effet sur le public, car les produits originaux sont souvent beaucoup trop cher pour le marché local, notamment dans le secteur des programmes informatiques.

Mais l’arrestation de quelques vendeurs ne suffit pas à stopper le commerce de copies. A peine suspendus, de nouveaux commerçants apparaissent et continuent à faire tourner le marché. Il faut dire que les profits sont importants et les risques assez minimes: même si ils sont appréhendés par les forces de l’ordre, les vendeurs ne risquent qu’une amende allant de 800 a 8000 euros, maigre somme comparée aux recettes engendrées par la vente des contrefaçons.

Le gouvernement d'Abhisit semble décidé à réprimer plus sévèrement la vente de bien contrefaits. Le marché de nuit de Patpong figure parmi ces endroits de Bangkok, où il est possible de se procurer toutes sortes de biens ornés de sigles de marques connues, pour un prix défiant toute concurrence.

Un DVD vierge coutant dix bahts et un film copié se négociant entre 100 et 150 bahts, le calcul est vite fait.
La corruption entre aussi en ligne de compte, les quartiers où les contrefaçons prolifèrent étant souvent sous la tutelle d’un militaire ou d’un  homme politique protégeant le marché en échange d’une commission fixe ou d’un pourcentage sur les ventes. Il n’est pas rare qu’un coup de fil soit passé après la saisie de marchandises.

Un dilemme se pose: comment supprimer le marché de la contrefaçon dans des pays où une partie de la population tire ses revenus de cette production?

Anne-Lise Sauterey répond cette question: « Une phase de transition doit être faite pour que ces sources de revenus et d’emplois passent sur d’autre type de production ou de vente. »

Chose difficile à  faire, le marche de la contrefaçon étant en constante évolution, les méthodes devenant plus complexes et les produits de plus en plus similaires aux objets contrefaits.

Melaine Brou

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