Après la crise financière de 2008-2009 les pays asiatiques avaient de bonnes raisons d’être satisfaits d’eux-mêmes. Même si leur croissance a chuté, car leurs économies reposent essentiellement sur les exportations, ils ont traversé sans grand dommage la plus grande crise affectant le commerce mondial depuis les années 1930 (à l’exception notable du Japon qui a connu sa plus grave récession de l’époque moderne).

Stephen Roach
Stephen Roach

Mais la situation a changé depuis. Pour la deuxième fois en moins de quatre ans, l’Asie est frappée par un choc majeur lié à la demande extérieure. Cette fois-ci le choc vient d’Europe où une crise ravageuse de la dette souveraine menace de transformer une simple récession en quelque-chose de bien plus grave : la sortie éventuelle de la Grèce de la zone euro qui pourrait se propager à travers toute la zone. C’est une situation inquiétante pour l’Asie.

L’intensité des relations financières et commerciales entre les deux continents fait que l’Asie est très vulnérable face à la crise européenne.

Il ne faut pas prendre à la légère les risques de la crise des banques européennes pour l’Asie

Le financement bancaire est vital pour le continent, car il ne dispose pas de marchés financiers suffisamment développés susceptibles de servir de source de crédit de remplacement.

 Selon la Banque asiatique de développement, les banques européennes financent 9% du crédit des pays asiatiques en développement, soit trois fois plus que les banques américaines.

Le rôle des banques européennes est particulièrement important à Singapour et à Hong Kong, les deux grands centres financiers du continent. Autrement dit l’Asie est bien plus exposée à une crise des banques étrangères qu’elle ne l’était après la faillite de Lehman Brothers en 2008 qui a manqué de provoquer l’effondrement du système bancaire américain.

Difficile de faire plus clair en ce qui concerne l'importance du commerce entre la Chine et l'Europe

L’onde de choc engendrée par les variations de la demande extérieure est tout aussi inquiétante. Dans le passé, l’Asie exportait majoritairement vers les USA, mais cela a changé au cours des 10 dernières années. Fascinés par la croissance spectaculaire de la Chine, la région a réorienté ses exportations vers la Chine.

Cela semblait une évolution judicieuse. De 34% durant la période 1998-1999, en 2010 les USA et l’Europe ne représentaient plus que 24% des exportations des pays asiatiques en développement. Pendant la même période, les échanges intrarégionaux ont fait un bond, passant de 36% de la totalité des exportations en 1998 à 44% en 2010.

Ces chiffres dressent l’image rassurante d’un continent de plus en plus autonome, capable de résister au souffle des crises récurrentes de l’Occident.

Mais une étude du FMI montre qu’en réalité 60 à 65% des échanges commerciaux de la région portent sur des “produits intermédiaires”, des composants fabriqués dans des pays comme la Corée du Sud ou Taiwan, assemblés en Chine et finalement exportés comme produits finis en Occident.

L’Europe et les USA constituant encore la destination finale des exportations chinoises, l’Asie ne peut échapper à la dépendance étroite de la chaîne logistique asiatique centrée sur la Chine à l’égard de la demande des principaux pays développés.

Cette dépendance est d’autant plus préoccupante que l’Europe est devenue peu à peu la principale destination des exportations chinoises, après avoir dépassé les USA en  2007.

En 2010 l’UE représentait 20% des exportations chinoises, contre 18% pour les USA.

Autrement dit, l’Asie a parié gros sur l’Europe – un pari qu’elle est peut-être en train de perdre. En Chine, un scénario désormais familier se rejoue : une crise dans les pays avancés en Occident provoque un ralentissement de sa croissance intérieure. Et comme la région est de plus en plus intégrée, le reste de l’Asie va suivre.

Il y a néanmoins une raison d’espérer : jusqu’à présent le ralentissement est bien mieux contenu qu’il ne l’a été fin 2008 et début 2009. En seulement sept mois les exportations chinoises ont alors joué aux montagnes russes, passant d’un taux de croissance annuel de +26% en juillet 2008 à -27% en février 2009.

Cette fois-ci, le taux de croissance des exportations a chuté, passant de 20% en 2011 à 5% en avril 2012, un ralentissement marqué, mais en rien comparable à l’écroulement qui a eu lieu précédemment. La situation pourrait s’aggraver en cas d’un éclatement désordonné de la zone euro, mais hormis ce scénario, il y a des raisons d’être optimiste.

Pourtant l’Asie ne semble pas avoir retenu les leçons des chocs répétés provoqués par les soubresauts de la demande externe.

En fin de compte, la demande intérieure est le seul moyen efficace dont elle dispose pour se protéger de sa vulnérabilité à l’égard de la demande extérieure. Or la région n’a pas établi de pare-feu. Au contraire, la consommation des ménages a chuté à 45% du PIB des pays en développement d’Asie en 2010 – une baisse de 10 points de pourcentage par rapport à 2002, une contre-performance record. Dans ce contexte, croire que l’Asie va parvenir à se protéger entièrement des chocs externes – ce que l’on appelle le découplage – est chimérique.

L'asie reste encore très dépendante des Etats Unis et de l'Europe pour ses exportations, malgré un recentrage progressif de son commerce vers les pays de l'Asean, dont fait partie la Thaïlande.

Comme pour beaucoup d’autres choses en Asie aujourd’hui, la solution passe par la Chine ; c’est elle qui pourrait fournir le supplément de demande finale qui fait défaut au continent. Le récent plan quinquennal chinois 2011-2015 qui vient d’entrer en application comporte tous les ingrédients voulus pour adapter en dernier recours le dynamisme de l’Orient aux périls d’un Occident ballotté par les crises.

Mais comme la crise de l’euro provoque pour la deuxième fois en deux ans et demi un ralentissement de l’économie chinoise, la stimulation de la consommation prévue par le plan prend du retard.

Il ne peut y avoir d’oasis de prospérité dans un monde globalisé sujet à des crises. C’est vrai également pour l’Asie, la région du monde qui connaît la croissance la plus rapide. Alors que l’Europe continue à s’enfoncer dans la crise, le double lien des échanges financiers et commerciaux place les économies asiatiques dans un étau. La Chine et ses partenaires de la chaîne logistique asiatique ne peuvent y échapper qu’en procédant à un rééquilibrage. En attendant, l’étau va se resserrer.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

 Stephen Roach est enseignant à l’université de Yale et ex-président de Morgan Stanley Asia. Il a écrit un livre intitulé The Next Asia. Copyright: Project Syndicate, 2012.

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