Il y a un coté Don Quichotte chez Fabrice Guénier qui force le respect : proposer à la canonisation l’improbable congrégation des filles de bar, ça va chercher loin dans l’incurie ou l’optimisme béat. Mais en dépit du style de loser dépressif  de l’auteur, peut-être est il au fond de lui même un incorrigible optimiste, puisqu’il va chercher des moments de vérité et d’affection là où il est à peu près certain de ne jamais les trouver.

Alors soyons l’avocat du diable en compagnie de monseigneur Guénier, et allons promener notre bâton de pèlerin dans la paroisse de Pattaya et l’archevêché de Patong pour y chercher des petits miracles dans les cryptes de comptoir. Car même si aucun lieu n’est précisément nommé, tout évoque la Thaïlande dans plusieurs épisodes dans ce journal intime.

Cette ville correspond à ce qu’on t’a promis de l’amour moderne : une fête. Des filles ne désirant que jouer, que danser. Un monde en apesanteur. Un monde sans gravité, d’où la frustration est bannie. Un tour de manège.

Peut être y trouverons nous une forme de rédemption en débusquant le moment où, au-delà de l’argent (curieusement absent) et de la transaction de chair, nait entre deux êtres humains ce qui peut s’apparenter à une certaine complicité.

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Après tout le droit canon (rien à voir avec l’aspect de l’impétrante) définit comme critères la foi et les bonnes œuvres, et l’examen des miracles (au moins deux) pour permettre l’ouverture du procès en canonisation.

Avoir confiance. Suivre sans poser de questions. Ne pas poser de questions de peur de n’avoir de réponses qu’à ces questions. Payer ce qu’il fallait. Les voleuses étaient honnêtes. Les honnêtes étaient des saintes.

Charité bien ordonnée commence par soi même, et la vénération s’effectue pour l’essentiel dans des bordels à ciel ouvert où les mots d’amour se débitent au compteur. Transformer tout ça en une prose lisible est une autre gageure dont l’auteur se sort plutôt bien compte tenu du sujet.

“Les saintes” n’a ni queue (sans jeu de mot) ni tête et c’est peut être son principal atout : on peut  l’ouvrir au hasard et lire sans contrainte une ou deux pages qui se suffisent à elles-mêmes, sans jamais tomber sur le mot bite.

Sinon pas très charitable avec son prochain le Guénier :

Regards vides, gueules cassées.  Beaucoup étaient lookés. De petits boucs pathétiques, des tatouages laids, des débardeurs à bières, des casquettes, des shorts de clowns. Sac banane, lunettes frimeuses, culturisme. Un pantin, livré avec tous ses accessoires, cramponné à sa bière.

Les saintes, Fabrice Guénier
Les saintes, Fabrice Guénier

 

Par bien des cotés la position de Fabrice Guénier est limite suicidaire : vouloir lancer un assaut littéraire et romanesque sur le mont Sinaï du politiquement incorrect que sont les lieux de prostitution (le mot est sans doute à dessein tenu soigneusement à l’écart du vocabulaire de l’auteur) fréquentés par le diable lui-même : le mâle occidental séparé ou divorcé, qui ne se résigne pas à tirer la chasse d’eau sur son existence minable et inutile à la société civilisée et policée.

Le consistoire  du politiquement correct ne devrait guère tarder à mettre l’ouvrage de Guénier l’hérétique à l’index : comment oser lui donner l’imprimatur à l’heure où la classe politique unanime défend l’éradication abolitionniste dans les médias compatissants. Ce dont parle l’immonde Guénier c’est sale, c’est mauvais, c’est de l’oppression et de l’abus de pouvoir pur et simple, un prurit dégoutant qu’il faut exterminer.

Soyons honnêtes, ce livre m’est tombé des mains plusieurs fois : une série de vignettes de deux à trois pages sur les mésaventures d’un male occidental dépressif dans les bars à putes ne fait pas un récit auquel on a envie de s’accrocher pour connaître la suite.

Mais ce n’est sans doute pas non plus le but recherché par l’auteur, puisqu’à priori il n’en a pas. Tout est agencé pour cultiver une errance désinvolte ou la réalité sublimée voisine avec le rêve éveillé.

Mais parfois le réel rattrape l’auteur sans pitié, comme cette première fois où la sainte de service se révèle être au détour d’une soirée inoubliable un saint

Il y avait eu la plus belle des soirées. Suivie de : PATATRAS ! Elle avait pris mon visage entre ses mains et elle m’avait dit : “Before I was a boy.” Je devais acheter de la cervelle à n’importe qui.

La messe est dite

Extrait

Mona Lisa Massage : un aquarium illuminé. Il y a cent créatures échantillonnées sur les gradins.

Des robes de Miss.
Tous les satins de la terre. Des chingnons savants. L’or brodé sur l’éclat des étoffes comme des crayons de couleur. Des rouges cardinaux, des jaunes électriques, du bleu, des vert amande. Sous un éclairage très blanc, fluo, pour que les peaux paraissent encore plus pâles, poudrées. Pâtisserie. Des meringues au teint diaphane – Marie-Antoinette, la bouche frappée de sang.
Il s’était avancé.
Dégaine panouilleuse. Carrure.
Un parpaing.
Veste trop large et des chaussures qui crissaient. “I’m the manager.” Chevalière, une montre géante, il m’avait serré la main. J’avais senti cinq pommes de terre. “What Lady you want, Sir?” Il se comportait comme s’il était personnellement responsable de la plastique des filles. M’en vantant les qualités, m’en détaillant les spécialités, comme un sommelier, comme on conseille un cigare. La pompe et le pragmatisme en même temps: “Include : massage, shower, room. The Lady. Everything, Sir.
Il avait un micro. Faites vos jeux. Numéro douze, numéro vingt, dans le haut-parleur.
Deux filles.
Comme un désir d’être en minorité. Deux filles, comme on peut désirer trop de lumière.
Pour disparaître.
Elle s’étaient levées. Pochettes sous le bras, sourires, baisers soufflés derrière la vitre. Escort. Magazine. SAS. Ascenseur. Je partais demain.
Dans la suite, elles avaient babillé en se déshabillant, dans leur langage aigu de chat, entre deux vagues de rire. Dans la télé, avaient glissé la cassette X ad hoc.
(Extrait de Les Saintes, roman de Fabrice Guénier – Editions Gallimard 2013)

Commentaire de l’éditeur

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Après une rupture amoureuse qui le laisse brisé, le narrateur se rend en Asie du Sud-Est pour oublier celle qui l’a abandonné. A Bangkok, au Vietnam, au Cambodge, il erre de fille en fille ; celles-ci sont innombrables et lascives, affectueuses, parfois.
On comprend bientôt qu’il s’agit moins pour le narrateur d’oublier une femme que de trouver la femme. Ces filles, qu’il décrit avec une précision presque photographique, sont belles et la satisfaction du désir atteint à une sorte de grâce, laquelle touche aussi l’écriture.

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3 comments
  1. Il est aussi critique littéraire !!! que de talents cachés !!

  2. En rapport à votre juste et bon article, commande passée auprès d’Amazon. J’aime bien cette idée de rêve cotoyant la réalité. Loin des on dit, il parait que… !

  3. Pour info un commentaire relevé sur Amazon:
    Un roman écrit au plus près de soi et contre soi parfois, décrivant dans un style photographique avec beaucoup de justesse, de poésie et sans fausse pudeur un milieu qui pour beaucoup est la représentation de la misère et du sordide. Ici est rendu à ces filles une humanité et un respect qui souvent leurs manque, elles ont un prénom, un visage. Un chemin qui ressemble à un long tourment, à la recherche de ce sentiment qui anime et bouleverse, porteur de promesses : l’amour pur.

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