Le dollar est-il toujours une monnaie de réserve fiable, un refuge indétrônable en temps de crise ? Il y a à peine un an, la question n’avait guère de signification : le billet vert semblait indéracinable, tant par sa place prédominante dans les réserves de changes des banques centrales, que pour le commerce international.
Mais aujourd’hui ? Qu’en pense la “veuve de Carpentras” ? Dans le jargon boursier, la veuve de Carpentras, c’est l’épargnant moyen qui ne veut surtout pas prendre de risques, et qui ne fait pas beaucoup confiance aux marchés boursiers pour placer ses économies. Le produit favori de la veuve de Carpentras, ce sont les bons du Trésor : un placement très sûr (le risque d’insolvabilité de l’État est considéré comme nul) avec un rendement modeste certes, mais fixé à l’avance et garanti.
Le rôle de la veuve de Carpentras au niveau mondial est aujourd’hui tenu par le premier ministre de la Chine, Wen Jibao, pas en raison de son age, mais parce qu’il est assis sur un trésor de guerre de près de 2000 milliards de dollars, dont plus de 70% seraient placés dans les bons du trésor américain.
Comme la veuve de Carpentras, Wen n’aime pas beaucoup prendre de risques avec ses économies, et il se sent parfois inquiet pour ses picaillons. Que se passerait t-il si le dollar cessait d’être la monnaie de référence pour les échanges internationaux, pense de temps en temps Wen ? C’est à dire si on retirait aux Etats Unis le droit exorbitant de battre monnaie pour l’économie mondiale.
Ce droit concédé en 1944 avec les accords de Bretton-Woods était à l’époque justifié : les États-Unis étaient alors l’unique puissance économique mondiale capable de jouer le rôle de trésorier mondial. L’Europe était un champ de ruine, le Japon un tas de cendres radio-actives et la Chine pas encore sortie des guerres féodales. Mais aujourd’hui ? La question se pose avec davantage d’acuité depuis que la crise financière qui a montré la fragilité du système bancaire américain. Le Brésil et l’Argentine ont déjà donné l’exemple en libellant certains de leur contrats avec la Chine en Yuan, délaissant les dollars.
Avec les multiples plans de sauvetage mis en place par le gouvernement américain, le déficit budgétaire des États-Unis atteindra cette année le niveau exceptionnel de 13% du PIB, le quadruple de celui de l’administration Bush, pourtant peu réputée pour sa rigueur budgétaire. De quoi faire encore augmenter l’endettement des États-Unis qui atteindra cette année la somme record de 11 trillions de dollars, soit environ 75% du PIB.
Le risque pour le dollar est donc bien réel de se trouver en position de faiblesse, car à terme le montant des dollars en circulation dans le monde risque de dépasser les contreparties matérielles de l’économie américaine. La monnaie d’un pays est avant tout une créance sur son économie, mais avec le dollar elle est aussi, de fait, une créance négociable dans le monde entier. Pour le moment.
Récemment le milliardaire et investisseur George Soros, célèbre pour ses prédictions, a déclaré abruptement que “le système bancaire américain dans son ensemble est fondamentalement insolvable”. La Chine sera, à son avis, le premier pays à émerger de la récession, probablement cette année, et elle constituera le fer de lance de la croissance mondiale en 2010.
Soros a aussi jugé que le dollar pourrait être remplacé comme devise mondiale de réserve par les Droits de tirage spécial (DTS) du Fonds monétaire international. Les DTS, un panier de devises composé actuellement de dollars, d’euros, de livres sterling et de yens, ont été créés en 1969 par le FMI en tant que monnaie de réserve internationale.
“A long terme, avoir une unité internationale de compte autre que le dollar pourrait être un avantage”, a estimé Soros. Il a ajouté que le système ayant permis aux États-Unis de dépenser plus qu’ils ne gagnent “prenait fin” et devait être “changé”.
Dépenser plus qu’on ne gagne, c’est une chose que la veuve de Carpentras ne voit pas d’un très bon œil. Ca fait “panier percé”, et au bout d’un certain temps, il faut bien rembourser. Wen Jibao ne connait pas la veuve de Carpentras, mais il n’est probablement pas loin de penser comme elle en ce moment.
Olivier Languepin