Après avoir pris par surprise les Thaïlandais, et provoqué la réprobation unanime des démocraties occidentales, le coup d’Etat et le gouvernement militaire qui s’en est suivi s’installent dans la durée en Thaïlande.

Pour la plupart des observateurs, notamment ceux des pays occidentaux pour qui la démocratie est la seule norme acceptable, un coup d’Etat ne peut avoir que des conséquences négatives. Mais dans un pays comme la Thaïlande, qui  a connu de nombreux coups d’Etat dans son histoire moderne, il s’est développé au fil des ans une certaine forme de tolérance aux coups d’État militaires.

On pourrait presque parler d’une sorte de mithridatisation de la société thaïlandaise concernant les interventions des militaires dans la vie politique.

Plus d’un mois après le coup d’Etat du 22 mai, force est de constater que la majorité des Thaïlandais appréhende la nouvelle situation avec un certain soulagement, ou tout au moins une certaine indifférence. La Thaïlande a en effet pu retrouver un semblant de normalité grâce à l’intervention de l’armée.

L’escalade de la confrontation entre les manifestants pro et anti-gouvernementaux depuis le mois de novembre de l’année dernière menaçait sérieusement l’économie du royaume, le tourisme, les investissements et l’activité quotidienne des entreprises, sans parler de la sécurité des habitants de Bangkok.

Rappelons que quatre enfants sont morts dans des tirs de grenades contre des manifestants anti-gouvernementaux au cours des six mois qui ont précédé la prise de pouvoir par les militaires.

Un mal nécessaire ?

Compte tenu de l’impasse politique et des violences de plus en plus fréquentes sous formes d’attentats terroristes aveugles,  beaucoup de Thaïlandais ont salué l’intervention de l’armée comme une action nécessaire pour stopper l’escalade des troubles qui avait  paralysé la capitale et le gouvernement intérimaire.

Mais la pax romana (1) instaurée par le général Prayuth a engendré une condamnation  immédiate du monde occidental et de ses dirigeants. La communauté internationale a réagi fermement à la prise du pouvoir par l’armée en appelant à un retour immédiat à la démocratie, et menace de prendre des sanctions si la junte ne exécute pas rapidement.

La plupart des médias étrangers ont aussi adopté une ligne très critique décrivant le coup d’Etat militaire comme inacceptable, et comme une simple répétition de la prise de contrôle militaire de 2006 qui avait renversé le premier ministre Thaksin Shinawatra.

L'époque ou le général Prayuth et Yingluck Shinawatra étaient dans le même bateau.
L’époque ou le général Prayuth et Yingluck Shinawatra étaient dans le même bateau.

Le discours dominant dans les médias occidentaux estime que ce coup d’Etat, comme le précédent, n’est que la conséquence d’un complot désespéré des élites thaïlandaises traditionnelles pour maintenir leur emprise sur le pouvoir. Ces élites n’arrivant pas à accepter l’élection démocratique de la famille Thaksin (le frère en 2006, le beau frère en 2007 et la sœur en 2011) par les masses rurales défavorisées.

Sous couvert de neutralité, l’armée ne serait qu’une puissance au service des riches de Bangkok, contre les pauvres des provinces : une sorte de lutte des classes néo marxiste made in Thailand.

En fait il semble que le coup de 2014 soit davantage qu’une simple répétition de 2006. Il se pourrait bien que l’armée ait tiré quelques leçons de ses erreurs passées, et adopte une nouvelle approche basée sur une volonté de réformer le système en profondeur.

Les 12 travaux du général Prayuth

L’agenda impressionnant que s’est fixé le général Prayuth en moins d’un mois, contraste avec l’inaction totale du gouvernement Surayud qui avait succédé au coup d’Etat de 2006.

Même si l’évaluation des résultats concrets prendra sans doute beaucoup plus de temps que les cinq semaines écoulées, la volonté affichée de lutter contre des maux qui gangrènent depuis des lustres la société thaïlandaise mérite d’être soulignée.

Rien que les progrès réalisés dans la lutte contre le trafic de main d’oeuvre en documentant des centaines de milliers de clandestins, pourraient justifier à eux seul l’action des militaires. L’infâme réputation de la Thaïlande en matière d’exploitation de la main d’oeuvre immigrée étant malheureusement parfaitement justifiée.

Indépendamment de la façon dont les observateurs étrangers voient la crise politique, la vie quotidienne en Thaïlande continue comme d’habitude. Quand il n’y a pas de meilleure option, il semble qu’un coup d’Etat soit  accepté comme un moyen d’échapper à une impasse politique violente.

Cet état d’esprit est peut être une insulte aux valeurs occidentales, mais ces valeurs étaient-elles vraiment le principal souci du précédent gouvernement ? Pendant le gouvernement précédent la démocratie semblait plutôt être un décor de pacotille destiné à masquer une emprise quasi mafieuse sur les principaux leviers du pouvoir.

Il reste qu’un coup d’Etat ne peut pas être une solution à long terme. La réforme politique doit avoir lieu et l’armée doit tenir ses promesses et redonner une forme de gouvernance démocratique qui convient à la majorité des Thaïlandais, quelle que soit leur opinion politique.

(1) La Paix romaine (en latin : Pax Romana) est une période de paix imposée par l’Empire romain sous la direction de l’empereur Auguste. Pour la première fois de son histoire, la Méditerranée et les pays avoisinants furent en paix, sous un même gouvernement.

 

6 comments
  1. Que de critiques violentes !
    Je trouve en effet, même s’il y a évidemment des côtés gênants par la prise de pouvoir des militaires en Thaïlande, que des initiatives pour une réforme sont bien lancées.
    Il ne faut pas non plus faire effectivement d’ethnocentrisme. Les régimes qui sont bons chez les uns, ne le sont pas forcément chez les autres.
    Il faut noter que des efforts sont faits pour limiter le travail clandestin, protéger les trafics divers, éviter la privatisation et la marchandisation des plages du sud…
    Un calme relatif est revenu, la consommation est revue à la hausse.
    Bien sûr, il y a une chasse aux sorcières. Bien sûr certains intérêts sont touchés… Mais laissons le temps faire son œuvre pour voir ce qui va en ressortir.
    Des amis aussi m’ont contacté. Les villageois qui les entourent vivent comme avant, avec la différence qu’ils ne sont plus obligés de fournir de l’argent en sous-main à des agents de l’administration ou à des élus pour vivre tranquillement…

  2. Alors, on connaît bien la posture de l’auteur de cet édito, elle prête à rire tant elle est caricaturale. Même si je ne suis pas sot : je remarque la pointe de provocation dans ses lignes. Mais gare à ce que la provocation ne franchisse pas les frontières de l’intelligence et tombe dans la bêtise.

    La posture de l’homme seul qui a raison contre le reste du monde (ces fameux gouvernements et médias occidentaux qui ne comprennent décidément rien à rien à la réalité thaïlandaise) est un peu limitée, surtout quand elle ne s’accompagne pas d’arguments solides, voire d’un simple exposé des faits.

    On se doit d’écrire, en contrepoint d’un édito aussi orienté, que la Constitution est suspendue, que les élections sont interdites pendant un an, que les médias sont aux mains de la junte, que les libertés individuelles sont limitées, que les manifestations sont interdites, qu’une véritable purge est à l’œuvre au sein du Puea Thai et du mouvement
    des « chemises rouges », que des centaines de personnes se trouvent (ou se
    sont retrouvées) en détention parce qu’elles ont le tort d’exprimer des opinions
    contraires à la junte.

    Le problème est qu’on ne peut pas écrire l’essentiel – en tant que journaliste ou autre commentateur – car l’essentiel est ailleurs, tout le monde le sait. Les Thaïlandais ont leur mot de passe “Pizza” du numéro 1112 de Pizza Company (référence à l’article 112), pour parler de ce qui fâche. Écoutons-les donc parler de “Pizza”, et apprenons avec eux, plutôt que de se repaître d’idées archaïques.

    Et surtout continuez à nous faire rire et à nous rendre heureux. C’est tout ce qui
    importe après tout. La démocratie attendra bien encore un peu.

  3. Je suis d’accord avec Marco Ambrosi. Cinq semaines que nous n’avions pas pu nous délecter de ces analyses fulgurantes, de ces éditos léchés (et là, en termes de lèche, c’est le top), de cette prose cocasse… Que le temps paraissait long et ennuyeux !
    Enfin, j’ai pu libérer mes zygomatiques aujourd’hui, comme d’autres libèrent des intellectuels qui réfléchissent trop.

    Que de blagues dans cet édito ! Continuez, je vous en prie, continuez à nous faire marrer comme ça. J’ai adoré celle de la « mithridatisation de la société thaïlandaise concernant les interventions des militaires ». C’est vrai, ils sont comme ça les Thaïlandais : à force de leur donner du poison à petites doses (des petits coups d’Etat militaires par-ci, des petits coups d’Etat judiciaires par-là, des élections piétinées ou empêchées par une poignée d’excités), eh bien, ils finissent par accepter le gros poison, ce bon général Prayut. Comme ça, sans recracher, sans vomir. De toute façon, s’ils recrachaient ou s’ils vomissaient, on leur ferait comprendre pendant sept jours de lavage que ça vaut mieux pour eux d’être heureux… Moi-même, j’ai l’impression que je serais très tolérant aux coups d’Etat militaires si on me mettait le canon d’un M16 sur la….

    1. Bizarre, la dernière phrase de ce commentaire a été coupée. Problème technique ou censure ? Optimiste que je suis, je penche pour la première hypothèse…

  4. Un article de OL ne laisse jamais indiférent.
    J’étais un peu surpris de son silence depuis bientôt 6 semaines, mais compte tenu de la situation sur la liberté de parole en Thailande je pouvais comprendre sa retenue sur un sujet sur lequel il “excelle”, la politique intérieure thai.
    Mais je n’aurai jamais imaginé qu’il puisse tomber dans la collaboration .
    Seriez vous sous le charme du généralisme, poête à ses heures et partisan du bonheur forcé pour tous? ou bien avez vous subi un lavage de cerveau dans un camp de réeducation pour journalistes ne diffusant pas les “bonnes” informations ??
    Mes amis thai de Chiang mai -là ou la répression est la plus importante- ne partagent pas non plus totalement votre enthousiame sur les bienfaits d’un éneime coup d’état malgré bien sur un apparent retour au calme dans la capitale aprés le départ des manifestants.
    Votre article fait fi de toutes les actions répressives de la junte depuis le 22 mai dernier, arrestations, interdictions, emprisonnements, déportations, mutation ou mise au placard des fonctionnaires, chasse aux sorcières sur l’article 112, controle du net, fuite des travailleurs clandestins, etc etc, par contre toujours la même plume assassine sur l’ancien régime responsable à vos yeux de tous les maux thailandais.
    Ce n’était pas non plus utile de rappeler l’irresponsabilité de parents promenant leurs enfants sur des barricades !!( hors sujet)
    je ne vois dans cet article que les louanges d’une dictature militaire dont malgré son “expérience” la Thailande n’a jamais connue auparavent .
    Faut il être aveugle pour ne pas voir le jeu réel de l’armée, qui depuis des décennies n’obeit qu’a ses propres chefs et bien sur ne vous en déplaise Monsieur, à la ploutocratie locale dont vous êtes aujourd’hui le seul et unique défenseur.
    Mais le pire est surement à venir, car la junte ne refera pas la même erreur de 2008, en redonnant le pouvoir aux civils .elle est là pour durer .
    Il leur faudra alors changer à nouveau la constituation afin que des représentants “choisis” puissent gouverner le pays .
    Bienvenue au club ( Chine, Birmanie, Corée du nord, etc, etc )
    Amazing Thailand !!!!

Comments are closed.