Ecolos contre industriels, l’histoire est connue, mais le bras de fer juridique autour de Map Ta Phut symbolise le tournant auquel se trouve la Thaïlande en matière de politique industrielle. Situé au sud-est de Bangkok, dans la province de Rayong, la région de Map Ta Phut accueille le plus grand complexe industriel de Thaïlande. Des industries lourdes et très polluantes, en particulier pétrochimiques, y sont installées par dizaines.

La semaine dernière, la bataille juridique autour du complexe pétrochimique de Map Ta Phut, à Rayong, a de nouveau fait la une des médias. Rendant un verdict sans précédent, la justice thaïlandaise a suspendu 76 projets industriels dans cette région, soupçonnés de ne pas respecter les règles environnementales. Les investisseurs étrangers ont exprimé leur inquiétude, et le gouvernement a décidé de faire appel. Avec cette décision, le Tribunal administratif central a ordonné la suspension de 76 projets industriels, soupçonnés de manquements aux respects des normes environnementales. La plainte avait été déposée par des habitants des environs et par l’ONG Anti Global Warming Association. De nombreuses unités appartenant à des poids lourds de l’industrie thaïlandaise opèrent à Map Ta Phut : la firme énergétique PTT ainsi que Siam Cement. Glow Energy, filiale du groupe GDF-Suez, est également présente, ainsi que plusieurs entreprises étrangères. La valeur totale des projets suspendus est estimée à 400 milliards de bahts (8 milliards d’euros).

Le complexe industriel de Map Ta Phut : une réussite industrielle qui tourne au désastre écologique

L’injonction découle d’une autre décision favorable aux défenseurs de l’environnement. En mars 2009, le Tribunal administratif de Rayong avait ordonné le classement de la municipalité de Map Ta Phut en « zone de pollution contrôlée ». Un tel classement exige une application très stricte des règles environnementales, notamment sur les émissions toxiques. Le jugement était venu couronner plusieurs années de bataille de la part des habitants de la région et des écologistes. Le bilan environnemental du complexe, lancé à la fin des années 1980, est en effet très négatif. Plusieurs rapports officiels et articles de presse ont relevé des fuites de produits toxiques et de déchets dans l’eau.

Une vingtaine de sortes de fumées toxiques très cancérigènes ont été détectées dans la région. Une étude du Bureau national de la Santé a montré que le nombre de cas de cancers dans la zone était trois plus élevé que dans les autres districts de Rayong. Un nombre inhabituel d’anomalies génétiques sur les enfants nés dans cette région a également été détecté. Dans un article publié sur son site, Chris Baker, universitaire installé en Thaïlande, raconte une anecdote significative. Au milieu des années 1990, il rencontre par hasard le responsable des contrôles anti-pollution de l’une des principales usines de Map Ta Phut. Celui-ci avoue qu’il a décidé de partir à l’étranger pour étudier, après avoir réalisé que « personne dans son entreprise, même pas lui, ne savait comment gérer la pollution dégagée par l’usine »…
Sans surprise, la décision de la semaine dernière est loin d’être du goût des industriels. Siam Cement a annoncé que l’une de ses nouvelles usines serait affectée. Les investisseurs étrangers ont fait part de leur inquiétude :

« Nous craignons que ce jugement empêche certains projets d’honorer leurs contrats commerciaux, ou que [certains financements] soit retirés de Thaïlande à cause des incertitudes. La communauté d’affaires étrangères soutient totalement la protection de l’environnement. Mais dans le même temps, le gouvernement devrait se pencher sur les lois pour voir si elles sont équilibrées, entre respect de l’environnement et soutien aux investissements»,

a déclaré Nandor von der Luehe, président de l’Union des chambres de commerce étrangères (Joint Foreign Chambers of Commerce).
Le gouvernement a fait appel du jugement auprès du Tribunal administratif suprême, alors qu’il n’avait pas contesté la décision du tribunal de Rayong il y a six mois. Selon le quotidien The Nation, 5000 employés dans la construction auraient été mis à pied depuis la semaine dernière. Le Premier ministre Abhisit Vejjajiva a annoncé que des réunions stratégiques sur le problème auraient lieu prochainement avec les industriels. Le Bangkok Post appelle quant à lui le gouvernement à prendre les décisions de justice comme une opportunité de réorienter la politique industrielle thaïlandaise :

« Map Ta Phut a été un succès pour les affaires mais elle est en train de se transformer rapidement en échec systémique. […] Il est temps de réaliser que la croissance thaïlandaise est davantage bloquée par une planification entêtée et à court terme que par les tribunaux et les écologistes. Il est temps pour le pays de faire un pas en avant, et de laisser en arrière l’ère des industries sales, produisant à bas prix pour l’exportation. »

Emmanuelle Michel