La semaine dernière, plus de 2000 fœtus ont été découverts emballés dans des sacs plastiques, entassés dans la morgue d’un temple, dans le centre de Bangkok. L’affaire a provoqué une certaine émotion dans le royaume, mais a permis de rouvrir le débat sur le problème de l’avortement en Thaïlande.

Illégal, mais pourtant très répandu : l’avortement est un exemple parmi d’autres des contradictions qui abondent dans la société thailandaise.

D’après le ministre de la Santé Jurin Laksanavisith, 80 000 femmes ont recours a un avortement illégal chaque année, et 3900 cliniques sont sous la surveillance pour pratique illégale de l’avortement. Un chiffre qui semble très sous estimé.

Selon le professeur Kamheang Chaturachinda, président de la Women’s Health and Reproductive Rights Foundation de Thaïlande, le nombre d’avortements illégaux en Thailande serait plus proche de 300.000 à 400.000 . Un chiffre assez important si on le rapporte à la population (67 millions), et surtout au nombres de naissances (790.000). A titre de comparaison, le nombre d’avortement en France (population et naissances de taille comparable) est de 295.000.

Pourtant l’avortement reste un sujet tabou : avorter en Thailande est interdit, sauf en cas de viol, d’inceste, ou si la grossesse risque de porter atteinte à la santé de la mère. D’après la loi thaïlandaise, une femme ayant recours à l’avortement illégalement encourt une peine de trois ans de prison, ou 6000 bahts d’amende, ou les deux. La peine maximale pour la personne pratiquant l’avortement peut aller jusqu’à 10 ans de prison si la femme meure suite à l’opération.

Macabre découverte dans un temple

La police a découvert au temple bouddhiste  Phai Ngern Chotanaram de Bangkok des centaines de fœtus, tous enfermés dans des sacs plastiques individuels, stockés dans la morgue du temple en attente de crémation. Les fourneaux étant en panne à ce moment-là, l’odeur putride émanant des fœtus a alerté le voisinage du temple, qui a ensuite appelé la police pour investigation.

temple bouddhiste Bangkok
Le Bouddhisme, religion largement majoritaire en Thailande, n'interdit pas l'utilisation de moyen de contraception, mais l'avortement est assimilé a un crime

Une suspecte a été arrêtée après avoir confessé s’être débarrassé des fœtus pour le compte de cliniques pratiquant illégalement l’avortement. Lanjakorn Jantamanas, 33 ans, était payée 500 bahts par fœtus pour l’acheminement des corps, qu’elle déposait ensuite au temple.

L’avortement en Thaïlande : un débat tabou

Malgré cette macabre découverte, la police thaïlandaise a promis une vague de répression sur les cliniques pratiquant des avortements illégaux. Le Premier Ministre Abhisit Vejjajiva a déclaré que l’on devait faire plus pour combattre l’avortement illégal, et que la loi thaïlandaise resterait inchangée, la jugeant « appropriée et suffisamment flexible ».

Cependant, quelques voix s’élèvent pour protester contre cette loi, qui ne correspond plus à la réalité de la société thaïlandaise. Avec les groupes féministes, des membres de la majorité politique du Premier Ministre réclament une révision de la situation de l’avortement en Thaïlande.

Parmi eux, Rayong Sathit Pitutecha, membre du parti Démocrate, suggère la mise en place d’un comité spécial qui examinerait la situation de femmes enceintes au cas par cas. Il veut, en outre, élargir le champ d’autorisation d’avortement aux filles mineures et aux femmes souffrant d’incapacité mentale. Sa proposition sera examinée lors de la prochaine session parlementaire en février prochain.

Une éducation sexuelle balbutiante

En plus de l’avortement, la découverte de ces 2000 fœtus soulève le problème de l’éducation sexuelle en Thaïlande. Enseignée dans les écoles, surtout à partir du lycée, elle manque de moyens: les cours sont trop sommaires, et les professeurs thaïlandais trouvent difficilement les mots pour bien expliquer la sexualité à leurs élèves.

Une récente étude a montré que la sexualité était enseignée dans 0,44% des écoles primaires, 11,74% des collèges, 60% des lycées et 25% des universités centrées sur l’éducation.

Certains étrangers ont beau venir en Thaïlande pour le tourisme sexuel, la sexualité reste tabou au sein de la population locale. Le sujet n’est pas abordé en famille, les adolescents ne faisant leur apprentissage qu’à l’école ou par eux-mêmes via internet et les films à caractère pornographique.

Les messages en direction des jeunes sont souvent contradictoires. D’une part, ils sont la cible de nombreuses mises en garde contre les rapports sexuels non-protégés, et observent un peu partout les boîtes de préservatifs en vente libre; de l’autre les filles sont encouragées à rester vierges jusqu’au mariage et à pratiquer l’abstinence.

Le Bouddhisme, religion majoritaire à 90% en Thailande, n’interdit pas l’utilisation de moyens de contraception. Par contre, l’avortement est assimilé a un crime, le fœtus étant considéré comme un être vivant. Une femme mettant fin à sa grossesse est donc jugée comme une meurtrière, et risque un avenir néfaste, ainsi que sa famille et son entourage.

La religion étant extrêmement importante en Thaïlande, et une partie des lois du Royaume étant calquée sur des principes bouddhistes, la reforme du statut de l’avortement risque de se heurter à de nombreux obstacles

Melaine Brou

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