La situation est bloquée en Thailande, et ce tant du point de vue des touristes qui cherchent désespérément à rentrer chez eux, que sur le plan politique. La Thaïlande est en quelque sorte victime de son succès, et plus les jours passent, plus il semble évident que l’évacuation des dizaines de milliers de voyageurs bloqués par des aéroports secondaires, risque d’être problématique.

Les hotels de Bangkok servent d'aérogares de secours

Faire tenir un aéroport de la taille de Survanabhumi dans les halls de quelques hôtels, ne peut pas être une situation viable pour plus de quelques jours. En temps normal l’aéroport de Survanabhumi traite 30000 passagers par jour, et même avec la meileure volonté, il n’est pas évident de recaser un des plus grands aéroport du monde dans quelques halls d’hôtels de Bangkok. Les autorités thaïlandaises font ce qu’elles peuvent pour chercher des solutions à l’engorgement des passagers en partance, mais l’aéroport militaire de U-Tapao, construit par les Américains pendant la guerre du Vietnam est déjà proche de la saturation.

Air France-KLM a annoncé deux vols lundi et mardi au départ de Phuket (sud de la Thaïlande), respectivement à destination d’Amsterdam et de Paris, pour les passagers bloqués à l’aéroport international de Bangkok. Plusieurs pays dont l’Espagne, la Chine, la Russie, et les Philippines ont déjà effectué des vols spéciaux pour rapatrier leurs ressortissants bloqués. Avec beaucoup de retard la France a annoncé un vol spécial vers Bangkok qui doit partir lundi, en milieu de journée, de Paris pour un retour prévu mercredi en début de matinée. La Chine a déjà effectué cinq vols spéciaux en provenance de Thailande depuis le début de la crise et rapatrié 1400 de ses ressortissants.

La situation politique est elle aussi complètement bloquée, et beaucoup de Thaïlandais commencent à se lasser de cet interminable conflit. Un sondage publié  dimanche à Bangkok, a montré que 76,5% des personnes interrogées se sentent très embarrassées par les troubles politiques locaux et l’opinion négative des étrangers vis-à-vis de la Thaïlande.  On aurait cependant tort de sous estimer le clivage qui divise la société thaïlandaise en ce moment: c’est bien d’un choix de société dont il s’agit. Thaksin a fait rentrer, pour soutenir son parti et ses intérêts personnels, une partie de la population qui n’avait jusqu’alors pas droit au chapitre. Les populations défavorisées rurales et urbaines, souvent originaires des régions pauvres de l’est de la Thaïlande, ont soudain représentées un véritable enjeu politique et ont pris conscience de leur importance.

Auparavant la partie d’echec qui menait au pouvoir se jouait entre soi: Thaksin a trahi cette connivence. Il fait lui même partie de cette élite sino-thaie qui occupe depuis toujours les positions privilégiées en Thaïlande, et il s’est appuyé sur les gueux pour assoir sa domination, passant par dessus la tête des élites traditionnelles. Or la petite bourgeoisie urbaine de Bangkok, qui forme le gros des troupes du PAD, regarde vers le haut comme toutes les classes intermédiaires et se considère comme menacée par l’ascension politique des classes populaires qu’a permis la période Thaksin.

Cette crise touche donc au coeur du paradoxe thailandais: une société industrialisée moderne, dont la croissance économique en dix ans a permis un accroissement spectaculaire du niveau de vie. Mais une société dont le mode de pensée et la structure sociale est restée quasi féodale.

Jusque dans la vie quotidienne on ne salue pas les personnes de la même façon en Thailande selon leur rang social. Il est toujours amusant de voir les touristes faire des “wais” (le salut avec les deux mains sur la poitrine, et une petite inclinaison du buste) aux serveurs de restaurant et aux chauffeurs de taxi, ce qui est une absurdité pour un Thai. En réalité on ne doit un “Wai” qu’aux personnes d’un rang social équivalent ou supérieur au sien. La position des mains (plus ou moins haute) doit aussi refléter l’importance de ce rang social. Si vous être d’un statut supérieur, vous n’êtes pas tenu de “rendre” un Wai: un simple signe de tête ou un sourire suffit. Un moine, ne vous rendra jamais un “Wai” : il se situe au sommet de la hiérarchie statutaire de la Thailande.