Thaksin réussira t-il à déstabiliser l’actuel gouvernement, en mobilisant un nombre suffisant de ses partisans pour occuper une nouvelle fois la rue ? L’enjeu est de taille pour l’ex premier ministre : la Cour Suprême de Thaïlande doit statuer sur la restitution ou la saisie définitive de ses avoirs, soit plus de 2 milliards de dollars. Une chose est certaine : Thaksin semble bien décidé à lancer toutes ses forces dans la bataille, avant le verdict du 26 février prochain.

Thaksin est il véritablement le dos au mur au point de vouloir jouer la carte de la terre brulée, ou bien cherche t-il simplement à se mettre en position de force pour négocier avec le gouvernement ? Après avoir obtenu gain de cause dans l’affaire de la résidence du général Surayud (accusé d’avoir illégalement occupé des terres appartenant au domaine public), les partisans de l’ancien Premier ministre thaïlandais Thaksin Shinawatra envisagent désormais la tenue d’une manifestation à l’aéroport international de Bangkok. Une initiative qui a toutes les allures d’une provocation en bonne et du forme, et qui déplait fortement au gouvernement en place.

C’est en effet en grande partie l’occupation de l’aéroport de Bangkok en décembre 2008 par les “chemises jaunes” qui avait forcé le démission du gouvernement pro Thaksin, et aboutit à la désignation de M. Vejjajiva comme premier ministre. «Nous pesons le pour et le contre et nous allons finaliser cela au cours d’une séance ultérieure» a déclaré, Sean Boonpracong, un porte-parole du groupe UDD, plus connu sous le nom de “chemises rouges”.

“Les manifestations ne seront pas comme celles qui avaient été organisées par un groupe anti-Thaksin, qui ont fermé les aéroports de Bangkok pendant huit jours et ont contribué à pousser le pays dans la récession”

a t-il ajouté.

Mais Thaksin peut-il sérieusement croire à une répétition de ce scénario catastrophe, cette fois en sa faveur ? Il est plus probable qu’il essaie d’entrainer le gouvernement à négocier.

La cour suprême de Thaïlande doit rendre un verdict déterminant

Tous les regards sont maintenant tournés vers la Cour Suprême et le 26 février, le jour du verdict sur la saisie éventuelle des 2,3 milliards de dollars d’actifs saisis appartenant à Thaksin et à sa famille. À l’heure actuelle, de nombreux observateurs croient que le scénario libérant les actifs en faveur de Thaksin est presque impossible. Mais il existe aussi deux scénarios pour la décision contraire : saisir tous les 76 milliards de baht (2,3 milliards de dollars) , ou seulement une partie de cette somme. C’est probablement cette deuxième possibilité qui motive l’agitation des pro Thaksin.

Une manifestante pro-Thaksin sur la place royale

Le verdict de la Cour suprême sera centré sur la façon dont Thaksin a gardé le contrôle secret de son empire d’affaires, et surtout sur la façon dont il a bénéficié directement de la politique de son gouvernement. En revenant sur les mouvements du cours des actions de Shin Corp et de sa filiale cellulaire Advanced Info Service (AIS), il est clair que le prix des actions a grimpé de façon significative lorsque de bonnes nouvelles sont annoncées à l’appui de leurs opérations commerciales.

Par exemple le 15 mais 2001, le partage des recettes avec TOT pour le service prépayé de téléphonie mobile d’AIS a été réduit de 25 pour cent à 20 pour cent, ceci dès la première année au pouvoir du premier ministre Thaksin. Pendant cette année (2001) le cours des actions d’AIS a bondi de Bt326 à Bt526.

En novembre 2003, le gouvernement Thaksin a octroyé une licence à Shin Satellite pour lancer le satellite IPSTAR. En 2004, le gouvernement Thaksin a aussi approuvé un prêt de  BT4 milliards de prêts par la Exim Bank à la Birmanie, principal client de Shin Sat.

Le 23 Janvier 2006, la nouvelle loi sur les télécommunications augmentait la limite sur les avoirs étrangers dans les entreprises de télécommunication à 49 % (contre 25% auparavant) : lendemain la famille Shinawatra a vendu sa participation de 49% dans Shin Corp à la Temasek Holdings de Singapour pour un montant de 73 milliards de baht (1,88 milliard de dollars) grâce à un montage juridique complexe lui permettant de ne pas payer un satang d’impôts.

La confiscation des avoirs de Thaksin : juridiquement possible, mais politiquement dangereux

Juridiquement la confiscation des avoirs de Thaksin semble ne pas manquer de fondement, mais est-elle possible politiquement ? Rien n’est moins sûr. Car au cours des quatre dernières élections de 2001 à 2007, les électeurs ont à chaque fois renvoyé, avec de confortables majorités, des gouvernements pro-Thaksin.  Sur les trois dernières élections, les gouvernements élus ont à chaque fois été démis de leurs fonctions par un ensemble conjugué de manifestations, de pression militaire, et de décisions prises par les tribunaux. L’actuel gouvernement sait très bien qu’il ne doit sa relative longévité qu’a l’appui des militaires, et que l’organisation d’une nouvelle élection lui serait sans doute fatal.

Malgré ses erreurs et ses nombreux excès, Thaksin a parfaitement compris où se situe le problème de la Thaïlande et l’a exploité avec beaucoup d’habileté (ou de cynisme, selon le points de vue) pour asseoir son pouvoir. Entre 2001 et 2006 Thaksin a réveillé l’électorat rural jusqu’alors délaissé par les élites traditionnelles, qui se sent maintenant partie prenante à l’avenir de la Thaïlande. Ces sections trop souvent négligées de l’électorat sont devenues des intervenants clés au cours des années Thaksin. Leur conscience politique s’est éveillée de façon irréversible, et après avoir imposé leur participation dans le système, ils ne veulent plus retomber dans l’oubli. Tant que ce problème ne sera traité d’une façon ou d’une autre par le pouvoir en place, il y aura toujours des chemises rouges dans la rue, et sans doute  un autre Thaksin pour prendre la parole en leur nom.

Olivier Languepin