Le coup d’Etat en Thaïlande du 19 septembre 2006 avait surpris tout le monde en mettant un terme à près de six  années de démocratie parlementaire, la plus longue période que la Thaïlande ait jamais connue. Il est le dernier en date d’une longue série de 18 coups depuis 1946. Comment expliquer ce triste record et éclairer les événements actuels ?

Un regard sur l’histoire contemporaine de la Thaïlande met en évidence la lutte continue pour le pouvoir qui oppose la monarchie, l’armée et l’appareil d’Etat. En coulisse, la bourgeoisie commerçante puis industrielle choisit parmi eux ses meilleurs représentants au gré des circonstances. Comme l’explique l’article suivant, ce n’est qu’avec l’arrivée au pouvoir en 2001 de Thaksin, qu’une partie de la bourgeoisie décide d’exercer directement le pouvoir.

S’interrogeant sur la solidité de la démocratisation en Thaïlande, le chercheur William Case résume soixante-dix ans d’histoire de cette monarchie constitutionnelle à un transfert du pouvoir politique et économique d’une élite bureaucratique civile et militaire à une alliance d’hommes d’affaires et de professionnels de la politique.

Après une succession de régimes militaires autoritaires ne se perpétuant que par des coups d’Etat entre 1932 et les années 1970, s’ouvre une courte mais féconde période démocratique suivie, dans les années 1980, d’une phase qualifiée de « semi-démocratique » où les militaires  se voient progressivement contestés par un régime parlementaire de plus en plus dynamique.

Enfin, après un ultime coup d’Etat militaire en 1991, hommes d’affaires et politiciens professionnels, avec l’aide du roi, parviennent à supplanter bureaucrates civils et militaires.    Le royaume a donc vu s’amorcer dans les années 1970 – et s’accélérer depuis une décennie – un processus complexe de démocratisation. Après la répression militaire du mouvement démocratique de mai 1992, la crise financière de l’été 1997 et la nouvelle Constitution en octobre 1997 ont semblé définitivement encadrer les forces armées dans une relation de soumission à l’autorité institutionnelle des civils. La charte constitutionnelle et les années 1990 sont apparues comme le lieu et le moment pour les élites de s’entendre pour se partager l’Etat dans un cadre démocratique.

Le dernier coup d’Etat, puis le retour au pouvoir du Parti Démocrate en décembre 20008, grâce au soutien de l’armée, viendrait en quelque sorte sanctionner un retour à la règle du système politique thaïlandais et mettre fin aux illusions selon lesquelles le développement économique et la fin de la guerre froide allaient naturellement conduire à la fin des dictatures.

L’origine de cet autoritarisme quasi-permanent de la vie politique en Thaïlande est à rechercher dans la formation du système économique et politique. Le premier facteur structurant est le caractère tardif de la révolution industrielle. En Thaïlande comme dans la plupart des autres pays d’Asie du sud-est, la révolution industrielle ne débute véritablement que durant les années 1955-1970, avec une accélération dans les années 1980 et 1990. En conséquence, la classe ouvrière restera longtemps une classe très minoritaire face à la paysannerie et n’existe pas comme acteur politique majeur au moment de la formation du système politique.

Le coup d'Etat de 2006 a mis fin a une période de six ans de démocratie parlementaire

Ce n’est qu’en 2006 que la paysannerie thaïlandaise passe en dessous des 50% de la population active. La paysannerie pauvre notamment du nord-est de la Thaïlande soutiendra avec constance les forces politiques proches de la social-démocratie ou du communisme mais sans parvenir à influencer le pouvoir à Bangkok.

Le deuxième facteur structurant tient à la spécificité de l’histoire de la Thaïlande par rapport à ses voisins. Contrairement aux autres pays asiatiques, la Thaïlande n’a pas été colonisée directement par les puissances occidentales ou le Japon, même si elle en a subit l’influence. C’est une des raisons qui explique le maintien tardif d’une monarchie absolue, jusqu’en 1932. Dans les autres pays asiatiques, la monarchie avait été supprimée ou bien marginalisée par les puissances coloniales.

Les guerres de libération nationale au Vietnam, Cambodge, Laos, en Chine, et dans un autre contexte, la guerre de Corée ou le débarquement de Tchank Kai Chek à Taiwan en 1949 ont bouleversé radicalement l’histoire de ces pays. Pas en Thaïlande qui n’a jamais été colonisée, ni « punie » par les alliées pour avoir collaboré avec les japonais pendant la guerre. Par conséquent, il n’y a pas eu de révolution démocratique bourgeoise ni de conflit majeur introduisant une rupture dans l’histoire de la Thaïlande, mais une continuité historique dont l’origine est à rechercher dans la création d’une monarchie constitutionnelle en 1932.

D’après Jean Sanuk et Danielle Sabaï