Depuis lundi après-midi et l’approbation de son gouvernement par sa Majesté le Roi Bhumibol Aduyadej, Yingluck Shinawatra est officiellement la première femme à occuper le poste de premier ministre de la Thaïlande.

Vendredi, jour de l’élection du premier ministre par les parlementaires, un peu plus d’un mois après les élections générales du 3 juillet, l’ancienne femme d’affaires de 44 ans, seule candidate, a reçu le soutien de 296 députés sur les 500 que composent le parlement thaïlandais.

Les démocrates du premier ministre sortant Abhisit Vejjajiva, relégués dans l’opposition, se sont massivement abstenus.

« Poudaeng » (crabe rouge) comme la surnomment certains journaux thaïs se trouve maintenant au début d’un parcours qui sera à n’en pas douter semé d’embûches.

Yingluck Shinawatra a semble t-il choisi la prudence en s’abstenant de nommer dans son gouvernement des responsables du mouvement des “chemises rouges”. La première femme à occuper le poste de premier ministre de la Thaïlande peut-elle espérer rétablir l’unité du pays ?

On note cependant que environ 80% des membres du gouvernement ou 29 sur 35 sont choisis parmi les membres du Pheu thaï, tandis que quatre relèvent du quota des partis de la coalition et deux sont des inconnus.

La plupart des nouveaux ministres semblent toutefois avoir des liens très étroits avec la famille Shinawatra, à savoir l’ancien Premier ministre évincé, Thaksin Shinawatra, ou ses deux sœurs Yaowapa et Yingluck

Yingluck tente d’éviter le conflit

Le probant succès des élections législatives qui lui a donné une majorité absolue pour elle et son parti le Pheu Thaï va sans nul doute lui donner une certaine marge de manœuvre, à commencer par un certain temps de paix politique (entre 3 et 6 mois), à la fois venant des citoyens mais aussi de ses « ennemis » que sont l’opposition, l’armée et les élites traditionnelles.

Yingluck la joue prudent, titre The Nation un des principaux quotidiens de langue anglaise de Bangkok

Après cette période de prise du pouvoir par l’ensemble du nouveau gouvernement viendra le temps de s’attaquer aux problèmes du pays, gérer l’économie nationale et répondre aux attentes des couches les plus pauvres de la société qui l’ont élue.

Le nouveau gouvernement va devoir s’atteler à mettre en œuvre les promesses faîtes durant la campagne électorale : les travailleurs et syndicats attendent avec impatience le salaire minimum de 300 bahts par jour ;  les écoliers désirent leur tablette ordinateur individuelle ; les riziculteurs espèrent qu’on leur achètera leur production au prix promis.

Toutes ces promesses, il ne tient qu’à Yingluck Shinawatra et son futur gouvernement de les mettre en place. Elle devra montrer dans les semaines qui viennent si elle a vraiment l’envergure d’un chef de gouvernement et la capacité à gérer les pressions et demandes de toutes parts.

Sans expérience politique, la photogénique Yingluck, qui doit en grande partie sa victoire à l’aura de son frère sur sa campagne électorale, est passé presque du jour au lendemain de la présidence de SC Asset Corp., une entreprise d’immobilier de l’empire familial, à diriger un pays en voie de développement rapide de plus de 65 millions d’habitants.

Nul doute que l’opposition ne manquera pas de tirer à boulets rouges sur son inexpérience politique et ses liens avec le « penseur » du parti, son frère ainé Thaksin, évincé du pourvoir par l’armée en 2006. L’appareil judiciaire pourrait aussi être une arme pour le Parti Démocrate qui réclame la dissolution du Pheu Thaï.

Bien que disposant de la majorité absolue au parlement, elle devra gérer les différentes sensibilités de la coalition gouvernementale qu’elle a mise sur pied car ces partis, pour leur propre intérêt, pourraient décider de quitter le bateau s’ils venaient à sentir dans les semaines qui viennent le vent populaire changer de direction.

Quant à l’armée, plutôt discrète jusque là, elle pourrait se réveiller et mettre des bâtons dans les roues du nouveau gouvernement si Yingluck, à travers son plan d’amnistie générale, venait à faire revenir sur ses terres son frère Thaskin, actuellement en exil à Dubaï.

Les « chemises jaunes » anti-Thaksin et les « chemises rouges », qui représentent les deux extrêmes de l’échiquier politique thaïlandais, sont restées discrètes jusque-là mais pourraient reprendre leurs revendications dans les rues de la capitale en fonction des choix politiques de la nouvelle premier ministre.

De plus, les « chemises rouges », alliés de Thaksin, et dont certains responsables tels Jatuporn Prompan ont été élus au parlement sous la bannière du Pheu Thaï, pourraient aussi se retourner contre la nouvelle premier ministre s’ils estiment que les responsables de la répression des chemises rouges par l’armée dans les rues de Bangkok au printemps 2010 ne sont pas traduits en justice.