Même si les promesses d’un retour à la démocratie semblent en mesure d’être tenues, le bilan du gouvernement nommé par les militaires est plus que mitigé.

Contesté par les partisans de Thaksin aussi bien que par l’opposition démocrate, il n’a enregistré aucun progrès face à la rébellion musulmane dans le sud du pays.

Minée par l’absence de politique claire, la situation économique s’est dégradée et la Thaïlande perd peu à peu du terrain par rapport à ses concurrents asiatiques.

Le 19 septembre, l’armée thaïlandaise a réalisé un coup d’Etat :l’ancien Premier ministre, Thaksin Shinawatra, s’est donc trouvé évincé, alors qu’il était à New York pour l’Assemblée générale des Nations unies.

Le coup d’Etat a rapidement été approuvé par le roi Bhumibol Adulyadej, figure hautement respectée dans le pays et autorité morale de référence, puis légitimé par la Cour constitutionnelle.

La Thaïlande a connu dix-sept coups d’Etat en soixante ans, mais la dernière décennie, de 1997 à début 2006, s’était caractérisée par un fonctionnement démocratique régulier et une certaine stabilité politique.

De nombreux analystes s’accordent pour dire que la constitution de 1997 est de loin la plus démocratique qu’ait connu la Thaïlande, et que celle adoptée en août dernier consititue un retour en arrière. En tant que chef du parti qu’il avait lui-même créé, le Thaï Rak Thaï (TRT, les Thaïs aiment les Thaïs), Thaksin Shinawatra avait été nommé Premier ministre en 2001 et renouvelé à ce poste en 2005 à la suite d’élections générales.

Cependant en janvier 2006, un mouvement d’opinion hostile à son encontre s’est fait jour. Des manifestations de grande ampleur ont commencé à se tenir, surtout à Bangkok, demandant sa démission ou sa destitution. Cette campagne visait d’abord à attirer l’attention sur les conditions dans lesquelles 49 % de l’entreprise Shin Corp, détenue par sa famille, avaient été vendus à la holding d’Etat de Singapour, Temasek.

De fait, bénéficiant de certaines dispositions fiscales, cette opération avait échappé à l’impôt sur les plus-values, malgré d’importants profits réalisés par la famille Shinawatra, évalués à pratiquement 1,9 milliard de dollars.

La critique portait aussi sur le soudain changement dans les règles applicables aux investisseurs étrangers en matière de détention d’actifs dans les télécoms et les services publics : quelques mois avant l’opération en effet, en 2005, la limite autorisée pour de telles participations avait été opportunément portée de 25 à 49 %.

D’ailleurs, des doutes persistent à ce jour sur la question de savoir si cette réglementation a bien été respectée, car il est possible que Temasek ait réalisé une prise de participation majoritaire dans Shin Corp par le truchement de prête-noms thaïlandais.

Plus généralement, la crise politique correspondait à une dénonciation par l’opposition, avec le soutien des classes moyennes urbaines et d’une partie de la fonction publique, de la personnalité même de Thaksin et des tendances autoritaires qu’il manifestait de plus en plus dans son mode de gouvernement. Il lui était reproché, en particulier, d’avoir affaibli des institutions normalement indépendantes et garantes du bon fonctionnement de la démocratie en y nommant certains de ses partisans. De même, la liberté de la presse avait été progressivement réduite sous son influence.

Le fait que le général Sonthi (principal artisan du coup contre Thaksin) soit musulman a, en effet, laissé espérer une amélioration de la situation dans le sud. Le gouvernement provisoire a ainsi pris le contrepied de l’approche de fermeté sans concessions mise en œuvre par Thaksin. Dans ce contexte, les attentats de Bangkok le 31 décembre dernier ont fait planer le doute sur la capacité de la junte à apporter la stabilité. L’enquête n’a toujours pas permis d’établir si des partisans de Thaksin y étaient mêlés, comme le sous-entendaient les autorités, ou si ces attentats avaient été perpétrés par un mouvement issu de la guérilla musulmane qui agite le sud du pays, comme le suggérait Thaksin, mettant par là en cause les méthodes du gouvernement intérimaire dans la gestion de ces troubles.

Un climat économique dégradé

Dans ce contexte, la croissance reste modérée, notamment par comparaison avec celle de pays voisins : si elle a atteint 5,0 % en 2006 contre 4,5 % l’année précédente, elle pourrait n’être que de 4 % en 2007, voire 3,8 % selon la banque centrale. Le soutien apporté par les dépenses budgétaires est d’abord resté limité, après l’annulation d’une bonne partie du plan d’investissements publics prévu par le gouvernement Thaksin.

Au vu de l’importance des exportations comme moteur de la croissance, les perspectives dépendent étroitement de l’évolution de la demande extérieure. L’accord de libre-échange signé avec le Japon le 3 avril dernier, qui doit supprimer 90 % des droits de douane entre les deux pays à l’horizon de dix ans, est à cet égard une nouvelle encourageante.

De fait, la Thaïlande a jusqu’ici largement bénéficié d’une demande extérieure importante, émanant en grande partie de la Chine, et se portant en particulier sur les biens intermédiaires et les produits chimiques.

Plus largement, les progrès de l’intégration économique en Asie lui ont été profitables. Mais les structures de production de la Thaïlande et de la Chine tendent à se ressembler de plus en plus, ce qui accroit pour la Thaïlande la concurrence chinoise, tout particulièrement dans le textile.