Après 48 ans de présence dans les kiosques à journaux de Thaïlande, The Nation, un des principaux quotidiens thaïlandais de langue anglaise, publie aujourd’hui son dernier exemplaire papier.

Le journal, qui continuera son service d’informations en ligne, est la dernière victime de la révolution numérique qui perturbe l’industrie des médias depuis plusieurs années.

Comme la plupart des autres journaux, The Nation est aux prises avec des difficultés financières importantes depuis plusieurs années en raison de la baisse des tirages et des recettes publicitaires.

La Thaïlande compte aujourd’hui 69 millions d’habitants, avec plus de 92 millions de numéros de mobiles et 55 millions de personnes qui accèdent à l’internet sur leur téléphone mobile.

note l’éditorial en première page de la dernière édition papier du Nation.

La preuve que l’économie numérique progresse rapidement en Thaïlande et que les médias doivent s’adapter aux changements en cours pour survivre.

poursuit l’éditorialiste du Nation.

Nous sommes nés à l’ère du linotype, un système de composition à chaud dans lequel des lettres individuelles étaient placées en plomb et disposées en blocs de caractères épelant des mots et des phrases. Celle-ci a été remplacée rapidement par la photocomposition, l’impression offset par lithographie et la composition par ordinateur. Nous arrivons maintenant à l’ère numérique: la plupart des gens lisent les informations sur leur téléphone et autres dispositifs sans papier.

Les annonceurs injectent leur argent dans les nouveaux médias et les publications imprimées du monde entier ont cédé au choc des perturbations numériques et The Nation se joint maintenant à elles.

Une édition en ligne plus réduite

The Nation
La dernière édition du quotidien The Nation, datée du 28 juin 2019

The Nation fait partie du groupe de presse “Nation Multi-media Group”, une société cotée en bourse qui a été reprise par une nouvelle direction l’année dernière.

Selon la direction du journal, certains membres de la rédaction seront réaffectés au service en ligne du journal, comme le dessinateur Stephff, connu pour ses caricatures humoristiques, et parfois assez irrespectueuses, du pouvoir militaire.

Avec la disparition de The Nation des kiosques à journaux, le Bangkok Post sera le seul quotidien de langue anglaise encore disponible en Thaïlande. Le Bangkok Post est l’un des plus anciens quotidiens de Thaïlande, publié depuis 1946.

La première édition de The Nation date du 1 er juillet 1971, à l’époque où la presse anglophone en Thaïlande était dominée par des groupes de médias étrangers. 

Suthichai Yoon, un des fondateurs du Nation et son rédacteur en chef pendant plus de 40 ans faisait partie d’un groupe de jeunes journalistes qui rejoignirent le quotidien.

The Nation allait leur permettre d’exprimer les perspectives et les points de vue thaïlandais par le biais d’un médias anglophone détenu et géré par des Thaïlandais.

Un quotidien engagé

Au cours de la manifestation en faveur de la démocratie en 1992, connue plus tard sous le nom de «Soulèvement de mai», The Nation était l’un des rares journaux à avoir défié les ordres militaires en rendant compte des violentes répressions contre les manifestants.

Mais récemment The Nation avait l’objet de critiques pour s’être montré trop complaisant avec le pouvoir militaire, après avoir été racheté par un groupe de presse marqué par une influence plus conservatrice.

En 2015 The Nation n’avait pas hésité à remercier un de ses meilleurs journalistes, Pravit Rojanaphruk, suite à son arrestation arbitraire par les militaires.

Éditorialiste pendant vingt ans au quotidien anglophone The Nation, Pravit avait été contraint de démissionner sous la pression du régime militaire, avant de rejoindre Khaosod English, journal en ligne créé en 2013 et connu pour ses critiques envers la dictature du général Prayuth Chan-ocha, qui a renversé le gouvernement élu de Yingkuck Shinawatra en mai 2014.

Arrêté à deux reprises et brièvement incarcéré pour avoir rédigé des articles « qui portent à confusion et qui vont à l’encontre des efforts (du régime) de maintenir l’ordre public », Pravit avait été forcé de signer une lettre dans laquelle il s’engageait à ne plus critiquer la dictature.

En 2017 Pravit avait été récompensé par le Prix International de la Liberté de la Presse, décerné chaque année par le CPJ (Comité pour la Protection des Journalistes).