Très rentables, faciles à produire et quasiment sans risque pour les trafiquants: le trafic de faux médicaments a explosé ces dernières années, servant à financer mafias et terrorismes à travers le monde.

Vingt-cinq fois plus lucratif que le trafic d’héroïne, dix fois plus que celui des cigarettes, le trafic de médicaments contrefaits génère des profit annuels de 75 milliards de dollars. Présents dans plus d’une centaine de pays à travers le monde, les faux médicaments seraient responsables de 3000 décès par jour.

Depuis quelques années, les inquiétudes grandissent au sein de la communauté internationale et des grands groupes pharmaceutiques au sujet de ces contrefaçons qui, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), sont  des « médicaments délibérément et frauduleusement étiquetés pour tromper sur leur identité et/ou sur leur origine ».

« Le trafic de médicaments contrefaits représente le commerce illégal le plus rentable au monde »

selon Scott Davis, Directeur de la sécurité pour la zone Asie-Pacifique chez Pfizer.

Dans le sud-est asiatique, les faux médicaments proviennent majoritairement de fabriques clandestines situées au sud de la Chine, non loin de la frontière birmane.

Faux Viagra Bangkok
Des boites de faux Viagra en vente à proximité d’un lieu touristique à Bangkok

Même un touriste de passage en Thaïlande pourra difficilement éviter de croiser sur son chemin des boites de faux Viagra, Cialis et autres remèdes miracles.

En vente libre sur les étals qui bordent Sukhumvit road, une des artères les plus commerçantes de Bangkok aux cotés des lunettes Chanel et Gucci à 100 baht et des DVD piratés, ces contrefaçons sont souvent de bien médiocres copies détectables à l’œil nu.

Un phénomène considérable

Le commerce de médicaments contrefaits atteint aujourd’hui des proportions alarmantes. Selon l’OMS,

« plus de la moitié des médicaments vendus sur des sites Internet dissimulant leur adresse physique »

sont ainsi contrefaits.

Les pays pauvres seraient plus sévèrement touchés, puisque entre 10 et 30% des médicaments disponibles dans les pays en voie de développement seraient des contrefaçons. Selon l’organisation professionnelle « Les Entreprises du Médicaments (LEEM) », qui reprend des données de l’OMS et du journal The Lancet,

« sur le million de décès annuels dus au paludisme, 200 000 pourraient être évités si les malades étaient soignés avec de vrais médicaments »

ou, pour prendre un exemple dans la région, « 64% des médicaments antipaludéens étudiés au Vietnam ne contiennent pas de principe actif».

De tels volumes ont permis un perfectionnement de la fabrication de ces contrefaçons, au point qu’elles sont devenues, contrairement aux faux sacs et fausses lunettes, quasi-indétectables à l’œil nu.

 « Le temps où les contrefaçons concernaient uniquement les sacs-à-main et les lunettes est révolu »

explique Anne-Lise Sauterey, coordinatrice régionale du Projet FSP Mékong, qui lutte contre toutes les contrefaçons dangereuses pour la santé aux Cambodge, Laos et Vietnam.

Et le problème ne concerne pas uniquement les consommateurs de viagra ou de produits similaires, puisque toutes les catégories de médicaments sont contrefaites, du traitement antipaludique à la chimiothérapie en passant par la pilule contraceptive.

Des conséquences catastrophiques

Les médicaments contrefaits désignent une réalité multiforme: des médicaments dépourvus de principe actif, sur-dosés ou sous-dosés, dotés d’un principe nocif ou encore recouverts d’un emballage impropre.

Les conséquences néfastes de ce commerce sont de plusieurs ordres. Les malades subissent directement les implications d’une composition médicamenteuse erronée. La dégradation de leur état de santé est alors fonction de la nocivité de la contrefaçon et de leur état initial. Le cas probablement le plus préoccupant est celui des médicaments sous-dosés.

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Une fiche descriptive de la FDA en Thaïlande pour reconnaître les faux Viagra en vente dans les rues de Bangkok. Source: http://www2.fda.moph.go.th

En effet, ces derniers sont censés procurer aux patients une relative satisfaction les incitant à renouveler leur achat. Ils ont néanmoins pour corollaire, lorsqu’il s’agit d’antibiotiques, le développement de résistances au traitement.

Selon les responsables du projet FSP Mékong,

« des cas de résistance au traitement antipaludique ont ainsi vu le jour dans la région de Pailin, à l’ouest du Cambodge ».

Dans l’exemple du paludisme, maladie pour laquelle les traitements disponibles sont très limités, l’apparition de telles résistances pourrait s’avérer catastrophique.

Les conséquences néfastes ne sont pas seulement d’ordre sanitaire, mais aussi économique :  les entreprises pharmaceutiques subissent une perte de leurs revenus, affaiblissant d’autant l’incitation économique favorable à la recherche.

Prévention et répression : la lutte contre les contrefaçons

Les explications au succès d’un tel commerce sont multiples. En effet, outre la rentabilité exorbitante des médicaments contrefaits (le retour sur investissement est de 500 pour 1), les trafiquants bénéficient d’une très faible prise de conscience du problème par l’opinion publique et d’un encadrement juridique inadapté.

La faiblesse de la sanction pénale des contrefaçons de médicaments dans la région est déconcertante, lorsqu’on la compare au trafic de stupéfiants. Au Laos, la peine encourue varie de 3 mois à 3 ans de prison.

Malgré des saisies importantes et fréquentes, comme un stock de 32 tonnes d’antibiotiques sous-dosés récemment intercepté au Cambodge, la structure juridique ne suit pas. La solution répressive n’est pourtant pas la panacée. Ainsi que l’analyse Scott Davis,

« y compris dans les pays dotés d’un arsenal juridique adapté, comme la Thaïlande, la lutte contre les médicaments contrefaits se heurte aux mêmes limites que celle contre la drogue : lorsqu’un vendeur est arrêté, un autre vient immédiatement prendre sa place ».

Une différence considérable existe néanmoins entre le trafic de drogues et celui de médicaments contrefaits : le consommateur de drogue, conscient ou non du danger qu’il encourt, trouve une forme de satisfaction dans sa consommation. D’une certaine manière, l’acheteur a quelque chose à « gagner » dans l’existence d’un trafic, d’une offre de produits stupéfiants, ce qui n’est absolument pas le cas du malade à qui l’on vend un médicament contrefait.

Antigel, mort-aux-rats et mortel Viagra

A ne pas confondre avec les médicaments génériques (équivalent du produit original commercialisé sous une autre marque) dont la prescription est légitime, les médicaments contrefaits sont souvent dangereux.

Qu’il s’agisse de traces d’antigel retrouvées dans un sirop antitussif au Vietnam, causant la mort de trois personnes en 1999, de mort-aux-rats, de métaux lourds ou d’une simple surdose de principe actif dans des pilules de viagra saisies en Corée provoquant des infarctus, les cas où les médicaments contrefaits contiennent des substances toxiques sont pléthores.

En outre, contrairement aux génériques, les contrefaçons ne sont pas toujours moins chères que les médicaments authentiques. En d’autres termes, les médicaments contrefaits constituent un cas de figure unique où tout le monde est perdant hormis les trafiquants. Cette originalité devrait en conséquence rendre plus efficace une vaste campagne de communication et d’éducation à ce sujet.

Un effort de prévention réunit actuellement les principaux laboratoires pharmaceutiques, des organisations non-gouvernementales et des autorités administratives et gouvernementales. Qu’il s’agisse de spots télévisés ou, comme au Cambodge, de la création d’une matière spécifique dans le cursus de pharmacologie, la lutte contre les médicaments requerra inévitablement une prise de conscience massive de ce fléau. Les premiers signes encourageant existent : « à Phnom Penh, 90% des pharmacies illégales ont été fermées » rapporte Anne-Lise Sauterey.

 

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