Il y a huit ans, le 4 janvier 2004 pour être précis, les insurgés islamistes du sud de la Thaïlande ont lancé un raid surprise sur un dépot d’armes de Narathiwat et dérobé 413 armes à feu, pour la plupart des fusils d’assaut M16. Ce raid audacieux a marqué le début d’une insurrection par une nouvelle catégorie de militants inconditionnels, radicaux, et prêts à tout. 

Aujourd’hui, la guérilla islamiste ne donne aucun signe d’affaiblissement, que ce soit en termes d’intensité ou de cruauté.

5240 morts dont une grande majorité de civils

Les dernières statistiques compilées par l’agence Isra montrent que la guerre dans les trois provinces du sud à majorité musulmane a déjà fait 5243 morts et  blessé 8941 personnes. Le bilan des morts comprend 4215 civils, 351 soldats, 280 policiers, 148 enseignants et membre du personnel éducatif , sept moines bouddhistes et 242 insurgés présumés. Le conflit a aussi fait d’importants dégâts indirects laissant 2 295 veuves et 4455 orphelins.

Les musulmans de Thaïlande (environ 5% de la population) sont fortement concentrés dans trois provinces de l’extrême sud où ils représentent environ 80% de la population: Pattani, Narathiwat et Yala.

Financièrement, le gouvernement a dépensé plus de 161 milliards de bahts dans le Sud en opérations militaires et projets de développement au cours des huit dernières années. De ce montant, environ 70% a été consacré à des opérations militaires anti insurrection.

Autres faits intéressants : il y eu plus de 12.000 incidents violents au cours des huit dernières années, soit en moyenne 2,7 incidents par jour. Sur ce total, 2265 incidents ont été des attentats à la bombe. Parmi les 1.600 armes dérobées par les insurgés, seulement 500 ont été récupérés.

Un conflit ancré dans l’histoire

« C’est la plus vieille rébellion du monde », explique Jacques Ivanoff, chercheur à L’IRASEC. En effet, les racines des violences ont des origines lointaines. En 1909, le traité anglo-siamois entraîne le rattachement du sultanat de Pattani au Royaume du Siam. Il s’agit d’un bouleversement considérable pour une population très majoritairement malaise et musulmane.

Amnesty dénonce depuis longtemps la torture et abus dans le sud de la Thailande
Amnesty dénonce torture et abus dans le sud de la Thailande

La centralisation de l’Etat Thaïlandais autour du bouddhisme et du roi s’opèrera sous Rama V puis Rama VI et connaîtra une forme de radicalisation au milieu du XXème siècle avec l’émergence d’une uniformisation nationale autour de l’identité des Thaïs du centre.

Ce mouvement, qui donnera plus tard naissance au concept de « Thainess », laisse peu de place aux identités régionales distinctes, qu’il s’agisse des Birmans, des Karens, des Khmers ou encore des Malais du sud.

En avril 1948, des affrontements éclatent entre forces de sécurité et villageois malais dans le village de Duson Nyor : 30 policiers et 400 villageois sont tués. Il s’agit de la première explosion de violence dans un conflit qui dure jusqu’à nos jours et qui, dans l’esprit des Malais, illustre l’oppression dont ils sont victimes de le part de l’Etat Thai.

Les affrontements fluctueront, connaissant accalmies et regains, jusqu’en 2004, où les violences ont regagné en intensité : d’abord la saisie d’un stock d’armes appartenant à l’armée, faisant plusieurs morts côté militaire, puis, quelques jours après, le massacre de la mosquée de Kue Sue, faisant 107 morts dont certains exécutés d’une balle dans la nuque, et, enfin, la tragédie de Tak Bai, en octobre 2004, ou 78 manifestants malais périssent, asphyxiés dans les camions de l’armée.

Un conflit qui ne cesse d’empirer

L’an dernier seulement, un total de 535 personnes ont été tuées et 1050 blessées au cours de 671 incidents violents. Un chiffre en augmentation par rapport à 2010 avec 521 tués et 941 blessés dans 652 incidents.

Compte tenu de ces statistiques sur les huit dernières années, il semble évident que les opérations militaires n’ont pas réussi à freiner les activités des insurgés, et encore moins neutraliser les rebelles.

Ces derniers temps il y a eu davantage d’ appels en faveur de la levée de l’état d’urgence dans le Sud, affirmant que les forces de sécurité utilisent les pouvoirs spéciaux conférés par le décret d’urgence pour maltraiter les insurgés présumés, y compris par la torture.

Ces appels ont été ignorés par les militaires, qui persistent dans la conviction que le décret est toujours nécessaire compte tenu de la poursuite des violences. Mais au bout de huit ans de violences meurtrières, une solution politique doit au moins être envisagée, car la répression pure et simple n’a pas permis de rétablir la paix dans le Sud de la Thaïlande.

Olivier Languepin et Peter Lejaste