L’anniversaire du roi, très attendu par tous les thaïlandais comme chaque 5 décembre s’est finalement  déroulé comme prévu, même si l’état de santé encore fragile du souverain a plongé le pays dans l’inquiétude. Bhumibol Adulyadej, ou Rama IX car il est le neuvième descendant de la dynastie Chakri, est intensément révéré par ses 65 millions de sujets en ces temps de crise politique.

Le roi a quitté l’hôpital le 5 décembre pour la première fois depuis qu’il a été admis pour des problèmes respiratoires et une perte d’appétit à la mi-septembre, et s’est brièvement adressé à la population. Mais si la maladie du souverain est un sujet d’angoisse en Thaïlande, ce n’est pas seulement en raison de l’immense respect dont il  bénéficie. En effet évoquer la disparition du monarque, c’est de fait poser la question de sa succession. Or la popularité dont bénéficie l’actuel tenant du trône repose avant tout sur sa personnalité, et la longévité exceptionnelle de son règne.

Le tabou de la succession

En théorie, la monarchie n’ a plus aucun pouvoir en Thaïlande depuis 1932. En pratique les choses sont un peu plus compliquées, et le successeur de Bhumibol, quel qu’il soit pourra difficilement prétendre à la même popularité et à la même légitimité que son prédécesseur. En d’autres termes, il devra sans doute s’efforcer de clarifier les rapports complexes qu’entretient la monarchie avec le pouvoir politique, et le pouvoir militaire qui a fait un retour en force depuis le coup d’État de 2006.

En Thaïlande le portrait du roi est partout

La question est taboue en Thaïlande, où tout ce qui a trait à la couronne et à la famille royale est protégé par des lois très strictes de lèse-majesté. Comment envisager la Thaïlande sans son roi ? C’est presque impossible. Bhumibol a eu le règne le plus long de l’histoire de son pays et a vu défiler 23 Premiers ministres, 17 Constitutions, et se produire 18 coups d’État. Avec lui, son royaume de 65 millions de sujets s’est transformé d’un État agraire semi-féodal en un «tigre» économique de l’Asie.

Bhumibol joue en Thaïlande le rôle d’un sage qui exerce surtout une autorité morale, la monarchie absolue ayant été abolie en 1932. Le roi sort très rarement de sa réserve pour s’immiscer dans la vie politique, mais lorsqu’il le fait, personne ne s’avise de discuter son avis.

Une autorité morale et indiscutable

Lors d’un soulèvement populaire en mai 1992, il avait arbitré de manière spectaculaire en adjurant militaires et manifestants de mettre fin aux violences. Lors d’une allocution télévisée dont les images avaient fait le tour du monde, le roi avait exhorté les chefs des deux camps, accroupis à ses pieds en signe d’allégeance, à faire la paix. Le premier ministre de l’époque, issu d’un coup d’État militaire, avait démissionné et les troubles avaient cessé.

En avril 2006, le roi était sorti de sa réserve pour qualifier de «non démocratiques» des élections législatives anticipées, convoquées à la hâte par un Thaksin en difficulté. Le scrutin, boycotté par l’opposition, avait été finalement annulé, marquant le début d’une période de trouble qui sera fatale à Thaksin. Les soldats qui patrouillaient dans les rues de Bangkok au lendemain du coup d’État de septembre 2006, portaient tous un petit ruban jaune sur leur bras, signe d’allégeance à la couronne. Les généraux putschistes s’étaient empressés de faire publier dans les journaux une photo les montrant, à genoux, demandant audience au monarque. Personne ne peut avoir la tête plus élevée que le roi en sa présence, ce qui oblige les responsables politiques et militaires du royaume à lui demander audience parfois assis par terre avec les pieds tournés vers l’arrière. Lorsque l’on maitrise suffisamment la langue Thaïe, il est recommandé de s’adresser respectueusement à la «poussière de ses pieds».

Un personnage unificateur

Les soldats du coup d'Etat de 2006 portaient un ruban jaune, en signe d'allégeance au roi, mais le roi lui même est toujours resté officiellement neutre

Le roi est ainsi perçu comme un personnage unificateur de la Nation, et qui d’une certaine manière empêche la crise actuelle de dégénérer en affrontements violents. Car plus de trois ans après le coup d’État qui a mis fin au gouvernement de Thaksin, la Thaïlande n’a pas réussi à retrouver une véritable stabilité politique, et reste un pays profondément divisé. La fin de l’année 2009 risque d’être difficile pour un pouvoir qui n’a pas encore su reconquérir les bastions populaires de Thaksin, et qui reste assimilé à l’élite royaliste bangkokienne.

L’annulation des manifestations de l’UDD (Front uni de la démocratie contre la dictature), plus connu sous le nom de “chemises rouges” apporte un peu de répit dans le calendrier, déjà bien fourni, des manifestations de rue à Bangkok. Mais il s’agit plus d’un report temporaire que d’une véritable annulation. Début 2010, la cour suprême devrait aussi rendre son verdict dans l’affaire des biens gelés de Thaksin, environ 2 milliards de dollars, ce qui devrait provoquer un regain de tension avec l’opposition.

Selon le politologue Pitch Pongsawat de l’université de Chulalongkorn (Bangkok) :

Il y a peu d’hommes politiques en Thaïlande qui ont atteint le niveau de célébrité de Thaksin. Thaksin est peut être, de fait, en dehors du jeu politique et de la Thaïlande, mais il est tous les jours dans les médias. Nous sommes entrés dans une sorte d’ère “post Thaksin”, avec un gouvernement conservateur qui se définit comme anti Thaksin. C’est une sorte de coalition assez souple (loose coalition) qui n’a pas d’autre véritable cohésion que la volonté d’empêcher le retour de Thaksin au pouvoir

Les militaires qui avaient renversé le Premier ministre Thaksin Shinawatra ont été dans un premier temps, accueillis avec soulagement par de nombreux Thaïlandais, en particulier ceux qui manifestaient contre les abus de pouvoir de l’administration de Thaksin. Mais l’illusion d’un retour à la normale dans le sillage des chars de l’armée sera de courte durée.  Récemment les attaques de l’opposition pro Thaksin (chemises rouges) se sont dirigées de façon systématique contre l’ex général Prem, accusé d’avoir organisé le coup d’État de 2006. Mais Prem est aussi le plus proche conseiller du roi, et d’une certaine façon s’en prendre à lui est une façon indirecte de s’en prendre à la monarchie.

L’actuelle situation est rendue plus délicate par une inquiétude croissante quant à la question taboue de la succession éventuelle du roi, et surtout par les efforts incessants du gouvernement pour étouffer toute forme de débat sur l’avenir de la monarchie. Des arrestations suivies de très lourdes peines, et la censure de l’Internet – n’ont fait que renforcer le problème.

Olivier Languepin

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