Le crime de lèse-majesté à bon dos en Thaïlande, et son emploi inconsidéré attire de plus en plus l’attention des organisations de défende des droits de l’homme et de la liberté d’expression. Amnesty proteste contre la brusque augmentation ces dix derniers mois du nombre de personnes inculpées au titre de la loi de lèse-majesté.

Amnesty n’est pas la seule à critiquer l’utilisation trop fréquente de la loi qui protège le souverain. A l’occasion des célébrations de l’anniversaire du roi Bhumibol Adulyadej de Thaïlande qui ont lieu comme chaque année le 5 décembre, l’organisation basée à Paris, Reporters sans frontières a écrit au monarque pour lui demander d’accorder sa grâce aux internautes en prison ou poursuivis pour des délits d’opinion.

Reporters sans frontières a demandé la libération de Suwicha Thakor, incarcéré à la prison de Klong Prem. Ce blogueur a été condamné le 3 avril 2009 à dix ans de prison pour “crime de lèse-majesté”, malgré l’absence de preuves à son encontre. Ni politique, ni militant, Suwicha Thakor n’a jamais critiqué le roi, pas plus qu’il n’a posté d’articles le concernant.

Selon le Bureau judiciaire thaïlandais, en 2008 les autorités ont engagé des poursuites pour crime de lèse-majesté dans 77 dossiers

Depuis avril 2009, au moins deux Thaïlandais ont été inculpés de lèse-majesté et emprisonnés. Suwicha Thakhor et Darunee Chanchoengsilapakul purgent des peines de dix et dix-huit ans de prison respectivement – même si la dernière affaire fait actuellement l’objet d’un appel. Des centaines d’autres personnes restent inculpées de lèse-majesté. Amnesty International s’inquiète également de ce que le ministre de la Justice ait qualifié la loi contre le crime de lèse-majesté de mesure relevant de la sécurité nationale, justifiant ainsi sa décision de tenir le procès de Darunee Chanchoengsilapakul en juin 2009 à huis clos.

Amnesty International a reconnu que la Thaïlande avait fait des progrès considérables – sous la direction de Sa Majesté le roi Bhumibol Adulyadej – dans le domaine des droits humains au cours des dernières décennies, ce qui rend le renversement de tendance en matière de liberté d’expression d’autant plus inquiétant. Dans un discours prononcé à l’occasion de son anniversaire en décembre 2005, Sa Majesté le roi avait déclaré que la loi contre le crime de lèse-majesté était trop stricte, que son application portait tort aussi bien à sa personne qu’à la Thaïlande et que l’absence de liberté d’émettre des critiques justes nuisait à l’image de la nation.

La loi qui protège le roi  des crimes de lèse-majesté est en fait assez restrictive dans son énoncé et punit en principe “Quiconque diffame, insulte ou menace le roi, la reine, le prince héritier ou le régent”. Les contrevenants risquent “de trois à quinze ans de prison” (art 112 du code pénal de Thaïlande relatif aux offenses à la sécurité nationale). Mais elle est souvent utilisée pour faire taire l’opposition ou pour empêcher tout débat sur le rôle politique de la monarchie.

Reporters sans frontières demande également l’abandon définitif des poursuites à l’encontre des internautes suivants :

Giles Ji Ungpakorn, professeur de sciences politiques et inculpé de crime de lèse-majesté le 20 janvier 2009

Giles Ji Ungpakorn, professeur de sciences politiques à l’Université de Chulalongkorn de Bangkok, inculpé de crime de lèse-majesté le 20 janvier 2009 pour le livre “Un coup d’Etat pour les riches” paru en 2007 et téléchargeable sur son site. Il n’a jamais critiqué le roi, mais son livre pose la question de son influence sur la vie politique thaïlandaise.

Jonathan Head, correspondant britannique pour la BBC en Asie du Sud-Est, accusé sans preuves du crime de lèse-majesté le 23 décembre 2008 par le lieutenant-colonel Wattanasak Shinawatra. On ignore toujours où en sont les enquêtes aujourd’hui.

Nat Sattayapornpisut, blogueur ayant envoyé des liens de vidéos à un blogueur en Espagne, souhaitant la fin du crime de lèse-majesté. Il a été accusé, en octobre 2009, d’avoir violé le Computer Crime Act de 2007. “Critiquer une loi n’est pas critiquer le roi, ni menacer la sécurité nationale”, avait alors commenté Reporters sans frontières (http://www.rsf.org/Arrestations-d-internautes-et.html). Aucune décision n’a été prise à son sujet.

Praya Pichai, blogueur. Le procureur aurait jusqu’en 2017 pour décider de le poursuivre ou non, ce qui est inacceptable au regard des droits de la défense et de la liberté d’expression. Il avait été accusé en septembre 2007 d’avoir critiqué la royauté

Du coup la Thaïlande  se retrouve en compagnie de la Malaisie et du Vietnam pour le classement 2009 de la liberté de la presse dans le monde de RSF à la 130e place. Par ailleurs la Thaïlande reste toujours sur la liste de surveillance de RSF en ce qui concerne Internet. La fin du règne du roi Bumibol Adulyadej approchant, la monarchie devient un sujet de plus en plus sensible. Début janvier 2009, la ministre de l’Information et de la Communication a également annoncé que le gouvernement allait investir 500 millions de bahts (1,1 million d’euros) afin de mettre en place un filtre national consacré au blocage des sites Internet hébergés à l’extérieur des frontières du royaume, qui porteraient atteinte à la monarchie. Selon Reporters sans frontières “La législation thaïe sur le crime de lèse-majesté fait partie des plus sévères au monde. Elle empiète régulièrement sur le principe de la liberté d’expression.”