Les habitants de cette petite ville du Nord de la Thaïlande arrivent globalement à s’en sortir financièrement sans les revenus des 500 000 touristes annuels pré-pandémie, grâce à leurs cultures et investissements, mais surtout leur débrouillardise.

A cause de la quatorzaine imposée à l’arrivée, et d’autres restrictions décidées par le gouvernement pour empêcher la propagation de la Covid-19, la Thaïlande n’attire plus que très peu de touristes en ces temps pandémiques.

Avec 90% de l’économie locale de Pai basée sur le tourisme, la Covid-19 a bouleversé les habitudes et a imposé une reconversion de ses habitants, qui parviennent à vivre au jour le jour.

La Covid-19 et la désertion des touristes qui s’en est suivie, a cependant permis à la ville de se protéger du tourisme de masse.

« C’est pas plus mal que ça se soit calmé un peu [avec le covid], sinon, Pai serait devenue une espèce de Phuket du nord »

Antoine, originaire de Suisse et habitant de Pai depuis trois ans.

Le succès de Pai aurait en effet bien impacté son authenticité, si la tendance engagée ne s’était pas ralentie.

Un mode de vie lent et quasi-autosuffisant

Alors qu’énormément de Thaïlandais se retrouvent exsangues face à la brutale disparition de cette source majeure de revenus, les mots d’ordre à Pai sont adaptation et résilience.

Dans les tréfonds nordiques et montagneux de la Thaïlande, se trouve la petite ville de Pai (ปาย en thaï), écrin de verdure et d’ondes de quiétude.

Située au milieu de la province de Mae Hong Son et à 3 heures de Chiang Mai, accessible par une route sinueuse qui sillonne la montagne, c’était à l’origine une destination prisée des backpackeurs en quête d’énergie hippie, de découvertes de sites naturels impressionnants et de balades à scooter.

La perspective d’un mode de vie authentique et serein avait vite fait de séduire les baroudeurs de Pai.

« L’avantage d’ici, c’est que tu as de la nourriture partout. Des papayes, des bananes, des noix de coco… Tu peux en cultiver toute l’année. Ça pousse à fond. »

ANtoine

A l’époque, Pai était impliquée dans la production d’opium et d’héroïne, profitant de sa proximité avec la Birmanie et le Laos pour se faire une place dans le triangle d’or.

Le gouvernement a subventionné l’agriculture et fait la chasse aux trafiquants pour y mettre un terme. «Finalement, le trafic est contrôlé maintenant. Mais ici, c’est un truc un peu tabou. On ne peut pas parler de tout. », avertit Antoine, originaire de Suisse et habitant de Pai depuis 3 ans.

500 000 touristes par an

La tranquillité de la ville a souffert peu à peu de sa notoriété touristique, qui a démarré il y a 15 ans, et Pai accueille de plus en plus de visiteurs chaque année : plus de 500 000 par an avant le début de la pandémie de Covid-19.

Un chiffre qui peut sembler modeste par rapport au tourisme de masse des îles du Sud, mais conséquent en proportion des quelques 3000 résidents permanents de ce village.

Avant l’ère Covid-19, 90% des revenus du PIB de Pai étaient générés par le tourisme. Les habitants profitaient de son attractivité pour vivre et s’enrichir. Ils ont dû s’adapter à ce chamboulement complet de l’économie locale pour pouvoir rester là-bas, bien que leur mode de vie initial et leur état d’esprit aient facilité ce glissement.

« On n’a pas d’hiver, on peut tout le temps faire pousser de la nourriture »

Le secret de Pai ? Ses cultures. Encerclée de montagnes et de terres cultivables, dame Nature offre aux locaux la possibilité de se nourrir de leurs propres récoltes. Le riz étant l’aliment de base, lorsqu’ils ne le cultivent pas dans les rizières environnantes, c’est l’un des rares produits alimentaires qui leur demande une dépense.

Tous les jours, ces femmes se lèvent en même temps que le soleil pour travailler dans les champs de maïs en essayant d’éviter la chaleur

Une agriculture diversifiée et raisonnée

Dao, habitant de Pai depuis 8 ans, laisse admirer certaines de ses plantes. Avant de s’implanter ici et de couler une vie tranquille, ce Thaï de 41 ans a travaillé dur à Bangkok pendant 14 ans, cumulant les emplois de policier et professeur d’anglais.

Fatigué de la ville, Dao a commencé par servir dans un petit bar à Pai pour ensuite vivre de ses plantes et de ses investissements. 

« Là ce sont des avocats, ici, des mangues… », pointe-t-il du doigt dans le jardin. Les chaudes températures sont propices à la culture continue de fruits et légumes variés. « On n’a pas d’hiver, donc on peut tout le temps faire pousser de la nourriture. », explique-t’il. 

« Ils [les fermiers] peuvent faire du riz deux fois par an mais ils ont besoin de faire une pause pour que les sols se reposent. », précise Dao.

A Pai, l’agriculture est diversifiée et raisonnée, du fait de sa petite échelle. On se nourrit d’abord, puis on vend autour de soi si abondance il y a.

« Du riz, mais aussi des pois ou du maïs : ils ne veulent pas faire pousser les mêmes plantes toute l’année car ils veulent améliorer la qualité des sols. »

DAO

La permaculture est en effet une pratique répandue à Pai. Si certains utilisent des pesticides, leur utilisation demeure manuelle et marginale. La plupart des jardiniers et fermiers composent avec le fonctionnement de la nature et s’y adaptent pour que leurs graines poussent et finissent dans leur assiette. 

A manger en abondance

Ce mode de vie en quasi-autosuffisance n’a pas manqué de séduire quelques expatriés. Antoine a quitté Lausanne pour s’installer en Thaïlande il y a 3 ans.

Ancien accro à la cocaïne et ingénieur en construction, ce Suisse de 35 ans au parcours atypique a testé un large panel de pratiques spirituelles, de professeur de boxe thaïe à professeur de yoga, en passant par la création d’un centre de bien-être à Pai, pour finalement acheter un terrain, construire son propre bungalow et faire pousser ses fruits et légumes.

Au début de la pandémie, Antoine a dû mettre la clé sous la porte de son entreprise de bien-être, qui était prisée par des touristes occidentaux.

« Petit à petit, je commençais à bricoler dans mon jardin : potager, maçonnerie… J’ai bossé à fond pendant une année : pour mes permacultures, j’ai planté 150 bananiers, 200 ananas… »

Le Suisse a su tirer profit de son son demi-hectare de terrain pour progressivement pouvoir se nourrir de ses propres cultures. Désormais, il vit avec la famille de sa compagne et sa petite fille.

« On est tellement bien chez nous. J’ai fermé la société parce qu’elle me coutait trop cher. On a à manger en abondance, on ne sait même pas quoi en faire. » 

Antoine dans son jardin à Pai (Thaïlande du nord)

Le travail nécessaire pour s’occuper de ses plantes dépend des saisons. Pailler les plants pendant la saison sèche, les nettoyer quand viennent les pluies… 

S’adapter aux changements

Ceux qui n’ont pas su s’accommoder aux changements économiques, qui ont perdu leur emploi sans avoir d’économies et sans possibilité de s’auto-sustenter, ont dû retourner dans leur ville natale.

C’est le cas des anciens employés d’un restaurant dans la rue marchande de Pai. La gérante ayant été contrainte de les licencier du fait du manque de clientèle, ils ont quitté Pai pour Chiang Mai. D’autres encore ne pouvaient plus payer leur loyer et sont donc partis.

En l’absence de clients, de nombreux magasins, restaurants, street food ou encore salons de tatouages ont dû fermer 

Concernant ceux qui sont restés, un mot permet d’expliquer leur mode d’emploi : la débrouille. « Ici, pour s’installer, il faut montrer que tu es autosuffisant. Tu arrives à vivre si tu es débrouille», insiste Antoine. Selon lui, elle leur permet de s’adapter financièrement à l’absence de touristes.  

« Ils n’ont pas besoin des touristes, à part les gros hôtels ». L’économie locale est suffisante pour survivre pour la plupart. « Ceux qui meurent, c’est les gros », ajoute-t-il

« J’ai dû tout changer. », explique X, une habitante du village. « Il n’y a plus d’étranger en Thaïlande, donc maintenant, je fais à manger pour les locaux. Je n’ai pas assez d’argent, car je dois payer plein de choses, mais ça va. Avant, je pouvais économiser, plus maintenant. J’utilise l’argent que j’ai gagné avant. »

A long terme, la situation peut se révéler compliquée pour certains, mais la résilience est forte et les solutions s’improvisent.

En outre, les infrastructures à Pai telles qu’un hôpital, un bureau de poste et surtout les nombreux bars, permettent également d’envisager une vie à long-terme ici.

« Je vis sur mes dividendes »

Pour autant, cette autonomie est-elle uniquement le fruit de cette « auto-agriculture » ? Pas toujours. Nombreux sont ceux qui bénéficient de leurs investissements pour vivre confortablement, en paix avec la nature. 

Antoine et sa compagne louent des propriétés à Pattaya, ce qui leur permet de réunir 10 000 baths par mois (environ 300 euros). Et 200/ 300 baths (5/8 euros) leur suffisent quotidiennement, pour subvenir aux besoins de 5 personnes. 

Dao fait partie de ceux qui ont su se sécuriser financièrement. « Mes investissements sont mon principal revenu pendant le Covid ; je vis sur mes dividendes. »

Telle est la recette de sa liberté financière :

« J’ai de l’argent parce que je sais comment l’économiser. Economies et investissement. J’ai commencé très jeune. Si tu ne connais pas l’argent, tu n’as pas l’argent. Si tu sais comment l’argent fonctionne, tu en auras. Je travaillais pour l’argent, mais maintenant, c’est l’argent qui travaille pour moi. J’utilise l’argent comme un esclave. Si tu ne sais pas comment utiliser l’argent, tu passes ta vie à travailler. ». 

Si Dao est spécialisé dans l’investissement du marché boursier, sa partenaire investit dans les propriétés. A Pai, les couples se complètent financièrement. « De joyeux retraités », conclut-il.

Un retour des touristes en octobre ?

La Thaïlande mise néanmoins sur un retour des touristes en octobre, ce qui ne ferait pas de mal à Pai d’un point de vue économique. Selon les prévisions de Dao, « Les gens retournent au travail, gagnent de l’argent, économisent, et là, ils pourront voyager »

Carpe diem

Une chose est sûre, c’est que rien n’est sûr. Ce mode de vie demande de composer avec les imprévus, ce qui vient, ce qui part. Rien n’est figé, tout peut se discuter.

Dao ne paie plus son loyer, par exemple ; son propriétaire le laisse rester sur ses terres s’il s’en occupe. Par ailleurs, X raconte que « Parfois, il y a du travail, mais pas tous les jours. Si tu n’as pas de travail, tu vas au jardin pour t’occuper des vaches. ».

Antoine ajoute : « Moi, ce qui me surprend toujours, c’est que c’est tous les jours samedi ou dimanche. »

En revanche, cet abandon à une vie simple et paisible n’est pas synonyme d’oisiveté, loin de là : « Ils bossent tous les jours. Quand il y a du travail, ils bossent. ».

Dao montre les fruits de son jardin pendant que des voisins dégustent un barbecue thaï agrémenté de légumes du coin. En fond sonore, de la musique reggae. Les rires fusent, l’ambiance est légère. « On est tous voisins, et amis. », dit Dao.

« Je ne sais pas ce qu’il y a de si bon à en Pai, mais j’adore juste être là. Et quand je vois des gens venir à Pai, on s’amuse, on mange, on sort ensemble. Parce que c’est notre nature d’être à Pai, on aime recevoir les gens de l’extérieur. On a des amis partout dans le monde. C’est notre façon d’être. On fait du business et on gagne de l’argent sur les étrangers et sur les touristes ; mais l’argent vient après l’amitié. »

Dao, habitant de Pai

Le lâcher prise et l’acceptation d’une vie simple semblent être des conditions nécessaires à la vie à Pai, quand on ne sait pas de quoi demain sera fait. A la clé, la liberté. « Je suis libre. Je fais ce que je veux, où je veux. », jubile Antoine. 

Le ressenti est assez unanime. « Y’a une énergie, ici dans les montagnes. Ils sont vraiment un jour à la fois ». C’est sûrement cette énergie qui fait le succès de Pai avec son demi-million de touristes chaque année, les plus en phase avec l’âme de cet endroit expérimentant l’acceptation de la lenteur, juste le temps d’un voyage. Pai a l’apanage du mode de vie lent.

Hors Covid, c’est aussi un village de fête. Mais en ces temps pandémiques, tout est fait pour se laisser porter un peu plus loin.

Le cadre naturel. Les champs. Les fruits, les sons des oiseaux. Les champignons psychédéliques, plutôt accessibles à Pai lorsque l’on sait où se rendre. Les petits bungalows qui bordent la rivière Pai.

Le Bouddha blanc géant qui surplombe la vallée. La liberté qu’insufflent les balades à scooter. Ce n’est pas pour rien qu’que Antoine a choisi ce lieu pour créer son entreprise de bien-être. Pai est un village encore épargné du tourisme de masse, et offre un havre de paix qu’on se doit d’apprécier en renonçant au contrôle du lendemain. 

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