Confrontée à l’augmentation exponentielle des déchets plastiques importés, la Thaïlande décide de mettre fin à une industrie polluante et destructrice pour son environnement.

Depuis le 1er janvier 2025, la Thaïlande a instauré une interdiction complète sur l’importation de déchets plastiques. Cette mesure représente une étape décisive dans la lutte contre le transfert des déchets des nations riches vers les pays du Sud global.

Une réalité souvent méconnue se dissimule derrière ces interdictions: le colonialisme des déchets, un système où les pays industrialisés externalisent leur pollution aux dépens des nations aux infrastructures limitées. Comment fonctionne ce mécanisme et quelles en sont les conséquences environnementales et économiques ?

Le colonialisme des déchets : comment les pays riches externalisent leur pollution

Ce système permet aux grandes économies d’alléger les coûts du recyclage tout en donnant l’illusion d’une gestion écologique responsable. Force est cependant de constater qu’elle expose les pays importateurs de ces déchets à des défis environnementaux et sanitaires qui ne cessent d’augmenter, mettant en lumière une externalisation de la pollution vers des régions plus vulnérables.

Les pays riches, principaux exportateurs de déchets plastiques

Chaque année, des centaines de milliers de tonnes de plastique usagé quittent les États-Unis, le Royaume-Uni, le Japon et plusieurs pays européens pour être expédiées vers l’Asie du Sud-Est. Les dix plus grands exportateurs de déchets plastiques sont tous des pays industrialisés à revenu élevé, dont sept en Europe. Ensemble, ils représentent 71 % des exportations mondiales de déchets plastiques, soit plus de 4,4 millions de tonnes par an. L’Allemagne est le premier exportateur mondial avec 688 067 tonnes de déchets plastiques par an, suivie de près par le Japon qui en exporte 606 374 tonnes chaque année.

export dechet plastique - thailande-fr

Officiellement, ces exportations sont justifiées par des engagements en faveur du recyclage. Pourtant, dans de nombreux cas, ces déchets sont brûlés à ciel ouvert, entassés dans des décharges illégales ou abandonnés dans la nature.

Pourquoi les pays du Sud acceptent-ils ces déchets ?

Des pays comme la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie ou encore la Turquie ont longtemps accepté ces déchets, attirés par les opportunités économiques du secteur du recyclage. Ce commerce génère des revenus et crée des emplois, mais les infrastructures locales restent insuffisantes pour traiter un tel afflux.

Ce système, similaire au colonialisme traditionnel, voit les pays riches externaliser leurs problèmes environnementaux vers les nations vulnérables. Le « colonialisme des déchets », terme apparu dans les années 1980 et popularisé en 1989 par la Convention de Bâle, dénonçait déjà l’afflux de déchets toxiques vers l’Afrique et les Caraïbes, un phénomène qui persiste aujourd’hui sous la forme de millions de tonnes de plastique envoyées vers les pays du Sud.

La Thaïlande face à l’afflux de déchets plastiques : la nécessité d’un tournant

La Thaïlande : une destination privilégiée pour les déchets plastiques après 2018

Pendant des décennies, la Chine a été la principale destination mondiale des déchets plastiques, absorbant près de 50 % des exportations de plastique usagé en provenance des États-Unis, d’Europe et du Japon. Mais en 2018, le pays a radicalement changé de politique avec la mise en place du programme National Sword, interdisant l’importation de déchets plastiques non triés. Cette décision a provoqué un bouleversement du marché mondial des déchets, forçant les pays exportateurs à trouver de nouveaux débouchés.

Dans ce contexte, la Thaïlande est rapidement devenue une alternative clé. Son infrastructure industrielle, le faible coût de la main d’oeuvre et la présence d’usines de recyclage ont attiré les entreprises occidentales désireuses de poursuivre leurs exportations de plastique. Entre 2018 et 2021, le pays a ainsi importé plus de 1,1 million de tonnes de déchets plastiques, un volume bien supérieur aux années précédentes. Rien qu’en 2023, le Japon a expédié 50 000 tonnes de déchets plastiques vers la Thaïlande.

Recyclage inefficace et crise environnementale

Cependant, malgré l’essor du recyclage, l’afflux massif de plastique a dépassé les capacités du pays qui produisait déjà 2 millions de tonnes de plastiques par an. Les déchets arrivaient souvent sous forme de mélanges difficiles à recycler, et le manque d’infrastructures adaptées a aggravé la situation. Environ 58 % des déchets plastiques en Thaïlande sont mal gérés, finissant souvent dans des décharges sauvages ou incinérés illégalement, ce qui contribue à la pollution de l’air, des sols et des cours d’eau, libérant des substances toxiques responsables de maladies respiratoires et cardiovasculaires.

S’ajoute à cela le fait que les entreprises privées de recyclage fonctionnaient avec peu de régulation, et seules les matières les plus rentables, comme le PET des bouteilles en plastique étaient récupérées, le reste était abandonné ou brûlé.

Une interdiction sous la pression des écologistes

Face à cette crise environnementale, les militants écologistes ont intensifié leurs actions. Dès 2018, alors que la Thaïlande devenait un nouveau centre d’importation du plastique mondial, les organisations locales et internationales ont dénoncé une catastrophe écologique en devenir. Greenpeace Thaïlande a mis en lumière l’ampleur des dégâts. En 2019, des militants ont manifesté lors du sommet de l’ASEAN à Bangkok, exigeant une interdiction totale des importations de déchets plastiques et électroniques.

Face à cette pression, le gouvernement thaïlandais a progressivement limité les importations de plastique, avec une interdiction totale validée en décembre 2024, entrée en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2025.

Vers une mobilisation mondiale contre les déchets plastiques ?

La Thaïlande suit ainsi l’exemple d’autres pays comme la Malaisie et l’Indonésie qui restreignent aussi leurs importations de plastique. Au-delà de l’Asie, l’Union européenne a également pris des mesures pour limiter ce phénomène. Elle a annoncé qu’à partir de 2026, l’exportation de déchets plastiques vers les pays non membres de l’OCDE serait interdite. 

Mais si ces interdictions marquent une avancée, elles ne suffisent pas à elles seules résoudre la crise du plastique. Une approche globale est nécessaire pour s’attaquer aux causes profondes du problème. En décembre 2024, les Nations Unies ont tenté d’établir un traité international contraignant pour réduire la production de plastique et améliorer les systèmes de gestion des déchets à l’échelle mondiale.

Cependant, ces négociations ont échoué en raison de l’opposition de plusieurs pays producteurs de pétrole, notamment l’Arabie saoudite, l’Iran et la Russie. Ces pays craignent que la réduction de l’utilisation du plastique nuise à leur industrie pétrochimique, dont découle une grande partie de la production de plastique.

Une réduction drastique de la production de plastique est essentielle, avec des alternatives durables comme les matériaux biodégradables, et l’interdiction de la Thaïlande envoie un signal fort contre le rôle des pays du Sud comme décharges. Sans un effort mondial pour limiter la consommation et améliorer la gestion du plastique, le problème continuera de se déplacer d’un pays à l’autre, menaçant la planète.

1 comment
  1. J’ai toujours été contre l’exportation des déchets. Chaque pays doit gérer les déchets qu’il produit sinon cela génère toutes sortes de trafic. Inutile pour les pays donneurs de leçons de se donner bonne conscience en polluant chez les autres.
    Et n’oubliez jamais que la terre est ronde et que l’on ne peut cacher ses poubelles dans les coins 😁

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