Le fléau de la drogue reste un enjeu national en Thaïlande où le nombre de toxicomanes a triplé depuis quatre ans et est aujourd’hui estimé à 1,2 million de personnes. Sur les 80.000 villages que compte le pays, 60.000 seraient directement ou indirectement touchés.

Le Premier Ministre Yingluck Shinawatra a annoncé dimanche 11 septembre le lancement d’une nouvelle campagne nationale de lutte contre la drogue, baptisée « Force of the Land ».

Dans l’année à venir, le plan vise à réduire de 80% la consommation de drogue sur le territoire thaïlandais.

Au-delà des annonces de réorganisation administrative des autorités chargées de traiter ce problème, le Premier Ministre Yingluck a dégagé deux axes de la nouvelle campagne : l’aide à la réinsertion des toxicomanes via des centres de désintoxication et la répression des trafiquants.

Le marché de la drogue en Thaïlande est dominé par le YaBa (le médicament qui rend fou en Thai) ou méthamphétamine, qui se présente sous des formes très diverses

Le gouvernement a annoncé qu’un tiers des consommateurs de drogue serait accueilli au centre de désintoxication de Wiwat Polamuang, centre géré par l’armée, le ministère de la défense et le ministère de la santé. Alors que le Premier Ministre a insisté sur la volonté de guérir les consommateurs, son adjoint Chalerm Yoobamrung n’a pas manqué de rappeler que les autorités se montreraient fermes avec les trafiquants et autres dealers.

Dans un pays où l’immense majorité des toxicomanes a entre 16 et 24 ans, il est indispensable d’œuvrer à leur réinsertion dans la société.

Eviter les excès de la “guerre contre la drogue”

Le bain de sang qu’avait provoqué la dernière « Guerre contre la drogue » du gouvernement Thaksin, en 2003, est dans toutes les mémoires.

Arrestations arbitraires, meurtres extrajudiciaires, torture, violations systématiques des droits de l’homme : la campagne anti-drogue avait fait plus de 2500 morts et avait contraint les consommateurs de drogue à la clandestinité, où leur état de santé se détériorait inexorablement.

En 2004, plusieurs associations de défenses des droits de l’homme avaient dénoncées les conséquences de la répression aveugle contre le trafic de drogue.

Bien que les trafiquants de drogue soient les cibles déclarées de cette guerre, des toxicomanes non accusés de trafic ont été persécutés et forcés de se cacher, ce qui les empêche d’avoir accès aux programmes d’échange de seringues et autres services de prévention du VIH. Bon nombre de drogués par injection risquent d’être infectés par le VIH en partageant des seringues contaminées.

La répression menée par le gouvernement thaïlandais a débuté en février 2003, officiellement pour juguler le commerce de comprimés de méthamphétamine, localement connus sous le nom de ya baa ou « pilules qui rendent fou ». En trois mois, 2.275 suspects auraient été tués. Un grand nombre de prétendus dealers se sont retrouvés sur des « listes noires » trop hâtivement dressées par le gouvernement et ont reçu l’ordre de se présenter à la police. Beaucoup ont été abattus par des tireurs inconnus peu après avoir quitté le poste de police.

avait alors annoncé Human Rights Watch.

Aux yeux de la communauté internationale, la Thaïlande, qui était pourtant perçue comme le bon élève dans la lutte contre la drogue et l’aide aux personnes atteintes du VIH, s’était alors révélée comme un régime autoritaire capable d’atrocités contre sa population.

Wasant Panich, ancien secrétaire national aux droits de l’Homme en Thaïlande, a réagi à l’annonce de la campagne « Force of the Land », en appelant le gouvernement à éviter les exactions passées.

« Il ne doit y avoir ni torture ni meurtres extrajudiciaires de suspects »

a-t-il prévenu.

57% des détenus thaïlandais liés à des affaires de drogue

La nouvelle stratégie officiellement envisagée par le gouvernement semble néanmoins être différente de celle suivie en 2003. D’une part, les consommateurs ne seront pas traités comme des criminels, mais comme des malades. D’autre part, une attention particulière sera donnée à la dimension financière de la lutte contre la drogue : les lois anti-blanchiment seront utilisées afin de barrer l’accès des trafiquants à leurs ressources.

« Nous ferons en sorte qu’ils n’aient plus d’argent, même pour payer leur caution »

a ainsi expliqué le lieutenant de police Col Uthen.

Cette prise en compte de l’aspect plus subtil du fléau de la drogue est de bon augure, car jusqu’à présent l’accent mis sur la répression n’a pas donné de résultats très convaincants.

les prisons thaïlandaises sont remplies d’individus détenus pour des faits liés à la drogue. Ils ne représentent pas moins de 57% de l’ensemble de la population carcérale, un tiers d’entre eux ayant moins de 25 ans. Le système carcéral est essentiellement répressif et la réhabilitation ou les peines aménagées n’existent tout simplement pas pour les toxicomanes.

Les méthodes plus classiques de contrôles policiers dans les zones frontalières ne seront cependant pas en reste. Le Premier Ministre adjoint Chalerm a annoncé un déploiement important de forces de police dans la région de Chiang Mai, Chiang Rai et Mae Hong Son, région par laquelle transitent 70% de la drogue introduite en Thaïlande.