Maintenant que le « jour du jugement » est passé, et que les « chemises rouges » n’ont pas mis la Thaïlande à feu et à sang, il est peut-être temps de prendre un peu de recul. La décision de la Cour Suprême mérite d’abord d’être saluée, dans le sens que ses motivations sont clairement juridiques, ce qui permet ainsi à Thaksin et à sa famille de préserver une partie de son capital, et de sauver la face.

De fait, la mobilisation des pro-Thaksin ne se limite pas à l’attente et aux conséquences de ce verdict, et il est peut être temps de considérer les « chemises rouges » comme autre chose qu’une bande de paysans analphabètes à qui on a donné 500 baht pour aller vociférer devant les grilles du palais. Le Bangkok Post a justement déclaré dans un éditorial samedi que

Maintenant que la question des milliards de M. Thaksin a été légalement réglée, il est temps de donner  une chance aux plaies de guérir. Toute autre solution serait intolérable.

Certaines des aspirations de l’opposition sont légitimes, et doivent être entendues sous peine de pénaliser la société thaïlandaise dans son ensemble. Cette frustration s’exprime pour l’instant par les attaques incessantes contre le Président du Conseil privé du roi, le général Prem Tinsulanonda, les autres membres du Conseil privé et leurs partisans – ou ce qu’on appelle le Groupe des 11.

Une manifestante pro-Thaksin : sur sa casquette on peut lire "je regrette Thaksin"

Ce que les Thaïlandais sentent en ce moment, c’est que la justice dans cette société est train de disparaître. La Thaïlande a attendu pendant 78 ans pour voir le pouvoir appartenir réellement à la population

a déclaré Chavalit Yongchaiyudh, président du parti pro-Thaksin Pheua Thai (Pour les Thaïs), se référant à l’avènement de la monarchie constitutionnelle en 1932.

Situation inconfortable pour Abhisit

De fait le gouvernement d’Abhisit, mis en place à la faveur d’un retournement d’alliance au Parlement, manque cruellement de légitimité. Avec son physique de jeune premier, et son anglais impeccable, M. Abhisit apparait, sans doute bien malgré lui, comme un parfait représentant de cette « élite oligarchique » intouchable (désigné comme « Amartya» en thaï) qui est devenu la cible principale des attaques du Pheu Thai, et de son bras armé l’UDD . Force est de constater que malgré sa bonne volonté, le gouvernement Abhisit n’a pas rencontré les résultats attendus dans son effort de réconciliation de la société thaïlandaise.

Une année de mandat n’a produit aucune marge de manœuvre pour amorcer une tentative de réconciliation nationale. Au contraire, le gouvernement a choisi de devenir partie au conflit plutôt que médiateur. Donc, même avec la poursuite des politiques «populistes» et toutes sortes de campagnes encourageant les Thaïlandais à faire preuve de “modération” et d’unité, le gouvernement a été incapable de créer la confiance de base nécessaire qui permettrait une politique d’ouverture. Le gouvernement est donc considéré par les chemises rouges comme la marionnette des “Amartya”. Il a manqué à son mandat une véritable volonté de négociation avec ses adversaires, qui a eu pour résultat une intransigeance croissante des deux cotés.

Le parti démocrate, paravent de l’Amartya ?

M. Abhisit se retrouve dans la situation inconfortable du héros de Tomasi di Lampedusa dans “Le Guepard”, Tancredi Falconeri, neveu de don Fabrizio Salina, un prince sicilien, au milieu des tourments révolutionnaires italiens du Risorgimento, et dont la pensée se résume à une fameuse citation « pour que tout reste comme avant, il faut que tout change ». Tancredi épouse en apparence la cause nationaliste et révolutionnaire, mais son objectif est en fait de sauver ce qui peut l’être des privilèges de l’aristocratie. Abhisit cherchant à faire du Thaksin sans Thaksin se retrouve un peu dans la même situation, sans se trouver beaucoup plus convaincant. Comment en effet convaincre la population que l’on est en mesure de remplacer Thaksin, sans toucher à un seul des privilèges de ses adversaires.

En d’autres termes le Parti Démocrate et son incarnation jeune et moderne, M. Abhisit, ne serait que le faux nez d’une élite constituée d’oligarques et de hauts gradés, ayant besoin d’une façade démocratique et réformatrice pour mieux préserver leurs privilèges. Un peu caricatural, ce point de vue est néanmoins assez répandu dans une partie de la population, dont la motivation va bien au-delà de la préservation des milliards de Thaksin et de sa progéniture.

Thaksin restera presque certainement une force déterminante dans l’arène politique thaïlandaise, et même sans Thaksin, les turbulences qui agitent le royaume ont des chances de se poursuivre en raison des injustices profondément enracinées dans la société thaïlandaise.

Les Chemises rouges sont auto-organisés et autofinancée et luttent pour la démocratie, pas pour M. Thaksin. Oui, la majorité vénère Thaksin, mais ils l’aiment parce qu’il avait mis en place des politiques favorables aux pauvres.

estime Giles Ji Ungpakorn, professeur de sciences politiques exilé en Angleterre pour échapper à une accusation de lèse-majesté.

Le jugement

La Cour suprême a statué que, dans quatre des cinq cas qui lui ont été  présenté, l’ex Premier ministre avait usé de son autorité en tant que dirigeant, pour mettre en œuvre des politiques qui lui ont bénéficié personnellement, parfois au détriment de l’Etat. Avec les autres affaires en cours contre lui et sa famille, il est difficile de savoir quand les actifs non saisis par la Cour pourraient être libéré.

Un des avocats de M. Thaksin a déclaré que son équipe juridique étudie les possibilités d’un appel. Un appel peut être déposé dans les 30 jours, mais seulement pour  présenter de nouvelles preuves, et non pour des raisons de procédure.

Thailand supreme court
Thailand supreme court

Voici  un extrait des conclusions de la chambre criminelle de la Cour suprême dans les cas impliquant un abus de pouvoir commis par l’ancien premier ministre Thaksin Shinawatra

Détention des parts de Shin Corp à travers des « nominee » (prête nom)

Les neuf juges ont statué à l’unanimité que M. Thaksin a dissimulé son exploitation de 1,41 million d’actions de Shin Corp à travers des « nominees », dont ses enfants et d’autres parents. Le tribunal a jugé que M. Thaksin après être devenu Premier ministre en 2001, a toujours maintenu son autorité sur la nomination des membres du conseil de la société, ce qui constitue un conflit d’intérêts.

La conversion des frais de concession de télécommunications en une taxe d’accise

La majorité des juges a  statué que M. Thaksin a utilisé son autorité à travers le Gouvernement pour  adopter des lois qui ont converti les droits de concession de télécommunication en taxe d’accise,  ce qui a directement bénéficié à  Shin Corp, le propriétaire d’Advanced Info Service (AIS).   La cour a déclaré que la résolution du Cabinet a porté préjudice à TOT  l’entreprise publique qui avait accordé la concession de téléphonie mobile à AIS. La nouvelle réglementation a également rendu plus difficile pour les nouveaux opérateurs de concurrencer les opérateurs originaux comme AIS.

Le prêt à la Birmanie pour l’achat d’un satelitte

Le tribunal a statué à la majorité que M. Thaksin avait abusé de son pouvoir en fournissant un prêt de 4 milliards de baht à la Birmanie pour financer un contrat bénéficiant à Shin Corp et Shin Satellite. M. Thaksin avait donné instruction à l’Export-Import Bank (EXIM) d’ouvrir une ligne de crédit à la Birmanie à un taux d’intérêt réduit. Le tribunal a déclaré qu’il n’était pas nécessaire pour la Thaïlande d’accorder le prêt à la Birmanie.

Olivier Languepin

4 comments
  1. En effet, le gouvernement d’Abhisit Vejjejiva est en quelque sorte peu democratique (voir pas du tout, car monte grace a un coup d’etat meme si calme et pacifiste, mais coup d’état quand meme), sa legitimite est tres discutable…
    Ce qui est triste dans cette affaire, c’est que le parti d’Abhisit, c’est a dire, le P.A.D, a pris l’affaire du temple de Preah Vihear comme “bouc-emissaire” politique, le pays etant instable de l’interieur, il fallait a tout prix trouver un ennemi exterieur afin de rassembler et unifier la flamme nationaliste…nous savons que dans l’histoire du monde, cette technique a ete souvent usée par des regimes extremistes.
    De ce fait, ils ont reussi a chasser Takhsin du pouvoir…melant ainsi le petit Cambodge dans ses affaires politiques intérieures et exterieures, dont il n’avait pas besoin.

    Pourquoi revendiquer le temple de Preah Vihear qui a toujours appartenu au Cambodge?

    Le meilleur moyen pour la Thailande est effectivement d’organiser les elections, et s’en tenir aux resultats…sinon, le risque majeur serait de trouver un peuple divise, entre les gens des provinces (en majorite) contre les gens de Bangkok…une veritable poudriere qui risque de sauter a tout moment, une bombe a retardement.

    LBK.

  2. Constat: le gouvernement actuel n’ést pas légitime: il n’est pas issu de l’urne démocratiquement. C’est un gouvernement contesté sur sa légitimité et dénoncé pour son incapacité. La solution : une nouvelle élection générale libre serait nécessaire pour ne pas laisser sombrer davantage le pays qui jusqu’à présent s’est divisé en deux. Les intellectuels ( généraux, hauts fonctionnaires, hommes d’affaires apparatchits…) et les gens ruraux (fermiers, agriculteurs…) = classe dominante et dominée. L’ambiance internationale s’inquiète quant à la l’issue de la crise.

  3. Une seule solution : organiser une nouvelle élection libre, propre, transparente.
    Le gouvernement qui en serait issu aurait ainsi la légitimité. Ce qui n’est pas le cas l’actuel équipe qui ne représente qu’une facette de la classe bourgeoise thailandaise ( les généraux, les grands et hauts dignitaires apparatchits du Palais ou qui jouissent du privilège royal). Sinon la discorde serait de plus en plus grande faisant de la Thailande divisée en deux peuples socialo- politiquement – urbaines et campagnes.

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