Une tempête politique se prépare t-elle autour de la décision de justice à venir sur les avoirs gelés de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra ? Aucun scénario ne semble pour le moment exclu, soulevant des inquiétudes quant à la façon dont les événements se dérouleront jusqu’à la date du 26 février, et comment l’armée va réagir.

Une nouvelle vague de tension politique est en cours avec la tenue des manifestations quasi-quotidienne du Front uni pour la démocratie contre la dictature (UDD) qui demande un retour à la Constitution de 1997, et aux militaires de rester en dehors de la vie politique thaïlandaise.

La situation me parait anormalement calme, je me demande s’il n’y a pas en ce moment des négociations en coulisse sur le montant des capitaux que Thaksin pourrait récupérer à la suite du verdict.  Une confiscation à 100% serait une déclaration de guerre à l’opposition.

Estime un diplomate en poste à Bangkok .

De fait la menace d’un coup de force plane toujours sur la vie politique thaïlandaise, même si le général Anupong apporte son démenti quasi quotidien aux questions des journalistes sur l’éventualité d’un nouveau coup d’État en Thaïlande. Tous les regards sont maintenant tournés vers la Cour Suprême et le 26 février, le jour du verdict sur la saisie éventuelle des 2,3 milliards de dollars d’actifs saisis appartenant à Thaksin et à sa famille.

general Anupong and the reds
De récents sondages montrent en général que la probabilité d'un nouveau coup d'Etat semble exagérée. Plusieurs hauts dirigeants de l'armée ont également démenti les rumeurs d'une nouvelle intervention militaire. Pourtant, le fait même qu'il soit considéré comme possible est révélateur des problèmes politiques qui ont miné la Thaïlande depuis le coup d'Etat.

À l’heure actuelle, de nombreux observateurs croient que le scénario libérant les actifs en faveur de Thaksin est presque impossible. Mais il existe aussi deux scénarios pour la décision contraire : saisir tous les 76 milliards de baht (2,3 milliards de dollars) , ou seulement une partie de cette somme. C’est probablement cette deuxième possibilité qui est en ce moment l’objet d’intenses spéculations. Juridiquement, la cour suprême pourrait s’appuyer sur plusieurs faits tangibles qui pourraient justifier une confiscation, au moins partielle de la fortune de Thaksin :

  • En novembre 2003, le gouvernement Thaksin a octroyé une licence à Shin Satellite pour lancer le satellite IPSTAR. Quelques mois plus tard, en 2004, le gouvernement Thaksin a aussi approuvé un prêt de  4 milliards de baht  par la Exim Bank à la Birmanie, principal client de Shin Sat.
  • Le 23 Janvier 2006, la nouvelle loi sur les télécommunications augmentait la limite sur les avoirs étrangers dans les entreprises de télécommunication à 49 % (contre 25% auparavant) : le lendemain la famille Shinawatra a vendu sa participation de 49% dans Shin Corp à la Temasek Holdings de Singapour pour un montant de 73 milliards de baht (1,88 milliard de dollars) grâce à un montage juridique complexe lui permettant de ne pas payer un satang d’impôts.

Plusieurs de ces attendus paraissent effectivement jouer en défaveur de l’ex premier ministre. Mais son rôle politique reste important, comme le démontre les actuelles spéculations sur son retour dans la vie politique thaïlandaise.

Dans un sondage réalisé par le quotidien “The Nation”, une étonnante majorité de sondés prévoit un avenir politique à Thaksin en 2010. 60% pensent qu’il rentrera en Thaïlande pour purger sa peine de prison, et 26% qu’il reviendra au pouvoir en Thaïlande.  Un résultat d’autant plus significatif que le quotidien est plutôt considéré comme éloigné des positions de Thaksin. De fait l’actuel gouvernement sait très bien qu’il ne doit sa survie qu’à l’appui des militaires, sans lesquels il n’aurait qu’une espérance de vie assez réduite.

Le gouvernement d’Abhisit Vejjajiva souffre d’un manque de légitimité électorale. Issu de l’opposition parlementaire, arrivé au pouvoir en décembre 2008 à la faveur d’un renversement d’alliance au sein de la majorité d’alors favorable à l’ex-Premier Ministre en exil Thaksin Shinawatra, l’actuel gouvernement devra tôt ou tard organiser de nouvelles élections générales.

estime Paul Dumont, Conseiller du Commerce extérieur à Bangkok. Une opinion que partage aussi Arnaud Dubus ( voir Un recueil d’articles pour mieux comprendre l’Asie du Sud-Est )

Le parti Démocrate est conscient qu’une nouvelle élection risquerait de donner le pouvoir au parti Phuea Thai (Parti pour les Thaïlandais), dernier avatar du Thai Rak Thai fondé en 1998 par Thaksin. Soucieux de voir les fruits de son coûteux plan de relance économique (trente milliards d’euros), le gouvernement semble enclin à laisser traîner la réforme de la Constitution anti-parlementaire de 2007, prélude indispensable à un nouveau scrutin.

Juridiquement la confiscation des avoirs de Thaksin semble apparement ne pas manquer de fondement, mais est-elle souhaitable politiquement ? Rien n’est moins sûr. Car au cours des quatre dernières élections de 2001 à 2007, les électeurs ont à chaque fois renvoyé, avec de confortables majorités, des gouvernements pro-Thaksin. Sur les trois dernières élections, les gouvernements élus ont à chaque fois été démis de leurs fonctions par un ensemble conjugué de manifestations, de pression militaire, et de décisions prises par les tribunaux.

Olivier Languepin

Toutes ces questions seront débattues au Foreign Correspondents’ Club of Thailand le 18 février prochain au cours d’un débat prévu à 18 heures avec les intervenants suivants :
Tanks, Thaksin and $2 billion. The Military’s Past, Present and Future Roles in Thailand’s Ongoing Political Crisis
A Panel Discussion with Panitan Wattanayagorn, Suranand Vejjajiva & Federico Ferrara. 8pm Thurs, February 18, 2010

  • Panitan Wattanayagorn PhD, porte-parole du gouvernement ,  actuellement en congé de son poste de professeur agrégé au Département des relations internationales, Faculté de science politique, Université de Chulalongkorn. Dr. Panitan a conseillé plusieurs gouvernements sur les affaires militaires et de défense. En 2005, il a servi comme conseiller aux affaires étrangères du chef de l’opposition au Parlement, Abhisit Vejjajiva. En 2002-2003, il a été membre du Sous-comité de la National Human Rights Commission sur le terrorisme.
  • Suranand Vejjajiva, ancien ministre dans l’administration de Thaksin Shinawatra, il a servi comme ministre rattaché au bureau du Premier ministre (2005-2006), Membre du Parlement (2001-2005), et porte-parole du parti Thai Rak Thai (2001-2005 ). M. Suranand est un cousin du Premier ministre Abhisit Vejjajiva.
  • Federico Ferrara Ph.D., est professeur adjoint de sciences politiques à l’Université de Singapour, où il écrit sur les élections, les partis politiques et la démocratisation dans les sociétés non occidentales. Il est l’auteur de Démêler le mythe d’une démocratie de style thaïlandais.

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