La semaine dernière le gouvernement des Philippines annonçait à Manille avoir conclu un accord de paix avec et le Front Moro islamique de libération (MILF), après quinze ans de négociations et quarante ans de guerre.

Pourquoi la Thaïlande n’a t-elle jamais été capable de négocier avec la rébellion islamique qui déchire les provinces du sud ? La presse thaïlandaise cette semaine cite abondamment l’accord signé aux Philippines, et se demande de quelle façon Manille pourrait aider Bangkok sur la manière de traiter l’ insurrection dans le sud de la Thaïlande.

BenignoAquino - thailande-fr
Le président Aquino a considéré la négociation avec la guérilla musulmane comme une priorité de son gouvernement, et s’est personnellement impliqué dans le processus.

Mais il existe des différences fondamentales entre le sud de la Thaïlande et le sud des Philippines qui rendent difficile une application schématique des leçons de Manille en Thaïlande. Selon le politologue Joshua Kurlantzick , spécialiste de l’Asie du Sud-Est il existe aussi des limitations inhérentes à la situation en Thaïlande.

La Premier ministre thaïlandaise Yingluck Shinawatra n’est pas personnellement impliquée dans le processus de paix

Alors que dans le cas des Philippines,  le président Benigno Aquino III,  avait fait de la conclusion d’un accord de paix avec le MILF l’une de ses plus hautes priorités.

La Premier ministre Yingluck Shinawatra n’a jamais démontré un tel intérêt,  peut-être parce que la plupart  des Thaïlandais à Bangkok  ne s’intéressent pas vraiment à la situation dans le sud, aussi longtemps que la guerre ne parvient pas à s’étendre au-delà du sud.

Le gouvernement philippin a également proposé une certaine autonomie aux rebelles musulmans, une ligne rouge que la plupart des politiciens thaïlandais n’osent pas franchir.

Les insurgés du sud de la Thaïlande n’ont pas de chef apparent.

Les efforts déployés par le gouvernement thaïlandais pour lancer les négociations ont souvent été entravées parce que Bangkok ne sait toujours pas vraiment qui dirige l’insurrection, ni même si les dirigeants sont en contact les uns avec les autres. En revanche, le MILF a toujours eu un leadership apparent pour négocier.

Le gouvernement thaïlandais a toujours rejeté une aide de l’extérieur

et veut avoir un processus de paix avec une intervention minimale de parties extérieures comme la Malaisie, l’Organisation de la Conférence islamique , ou l’Arabie Saoudite qui ont proposé leur médiation.

Les insurgés du sud thaïlandais ne sont pas affaiblis

Malheureusement, contrairement au sud des Philippines, les insurgés du sud thaïlandais semblent devenir plus fort et plus violents chaque année. Sept personnes ont été tuées dans le sud de la Thaïlande cette semaine , et l’insurrection a réussi à paralyser la plupart des entreprises les vendredis qui sont désormais fermées sous la menace de représailles.

La dernière victoire des islamistes en Thaïlande: avoir réussi à transformer les villes du Sud en villes fantômes le vendredi, en menaçants de représailles les commerces qui resteraient ouverts.

Amnesty International estime que près de 5000 personnes ont trouvé la mort dans cette région depuis 2004. Les blessés se comptent par dizaines de milliers et plus de 200.000 personnes, quasi-exclusivement bouddhistes, ont quitté la région.

La plus vieille rébellion du monde

« C’est la plus vieille rébellion du monde », explique Jacques Ivanoff, chercheur à L’IRASEC. En effet, les racines des ces violences ont des origines lointaines. En 1909, le traité anglo-siamois entraîne le rattachement du sultanat de Pattani au Royaume du Siam. Il s’agit d’un bouleversement considérable pour une population très majoritairement malaise et musulmane.

La centralisation de l’Etat Thaïlandais autour du bouddhisme et du roi s’opèrera sous Rama V puis Rama VI et connaîtra une forme de radicalisation au milieu du XXème siècle avec l’émergence d’une uniformisation nationale autour de l’identité des Thaïs du centre.

Ce mouvement, qui donnera plus tard naissance au concept de « Thainess », laisse peu de place aux identités régionales distinctes, qu’il s’agisse des Birmans, des Karens, des Khmers ou encore des Malais du sud.

En avril 1948, des affrontements éclatent entre forces de sécurité et villageois malais dans le village de Duson Nyor : 30 policiers et 400 villageois sont tués. Il s’agit de la première explosion de violence dans un conflit qui dure jusqu’à nos jours et qui, dans l’esprit des Malais, illustre l’oppression dont ils sont victimes de le part de l’Etat Thai.

Les affrontements fluctueront, connaissant accalmies et regains, jusqu’en 2004, où les violences ont regagné en intensité : d’abord la saisie d’un stock d’armes appartenant à l’armée, faisant plusieurs morts côté militaire, puis, quelques jours après, le massacre de la mosquée de Kue Sue, faisant 107 morts dont certains exécutés d’une balle dans la nuque, et, enfin, la tragédie de Tak Bai, en octobre 2004, ou 78 manifestants malais périssent, asphyxiés dans les camions de l’armée.

Une violence multiple et complexe

Afin de comprendre l’instabilité dans les provinces du sud, il convient de ne pas en donner une image trop simplifiée.

 « Présenter les violences dans le sud comme résultant d’un conflit entre bouddhistes et musulmans est une erreur »,

explique Arnaud Dubus, journaliste spécialiste de la Thaïlande et co-auteur d’un livre sur le sujet[1].

D’une part les différences religieuses ne sont qu’un élément d’une distinction culturelle plus complexe et, d’autre part, le sud de la Thaïlande est le théâtre d’une activité criminelle indépendante du conflit avec l’Etat central.

 « L’islam n’est qu’une composante de cette population, qui se définit avant tout comme malaise. Des éléments d’islam viennent se mélanger aux coutumes et à la mystique malaises empruntes de magie, le tout consolidé par une langue différente du Thai. Croire qu’il s’agit d’un simple affrontement religieux est une facilité qui empêche de comprendre ces violences »

explique Jacques Ivanoff.   

Dans une région où tous les gouverneurs sont bouddhistes, où les Malais n’ont pas accès aux postes supérieurs de l’administration, où la langue malaise était jusqu’à récemment interdite à l’école et dans les démarches administratives, où il n’existe aucun journal en jawi, les aspirations à plus d’autonomie et à une reconnaissance de l’identité malaise se traduisent par la violence, une violence qui, au fil des années, s’est transformée en climat de terreur.

« La situation est devenue illisible, n’importe qui peut tuer n’importe qui »

résume Jacques Ivanoff.

Le conflit identitaire n’est cependant pas seul en cause dans les violences qui déchirent le sud du pays. En effet, entre 50% et 60% des morts sont liées à des activités criminelles ou à la politique locale, sans lien avec l’Etat Thai. La consommation de drogue est en effet très répandue et, combinée à une situation économique instable et à un taux de natalité élevé , plonge la jeunesse malaise dans le désoeuvrement.

[1] Policies of the Thai State towards the Malay Muslim South, S.R. Polkla & A. Dubus, IRASEC, Occasional Paper n°16, 2011.

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