Corruption, contrebande, pertes financières colossales: rien ne semble pouvoir arrêter le gouvernement thaïlandais dans sa détermination à poursuivre sa politique de soutien aux prix du riz à un cours environ 40% supérieur au prix du marché.

Ni les mises en garde de la FAO qui craint désormais une déstabilisation du marché à cause des immenses stocks accumulés en Thaïlande. Ni les avertissements des exportateurs thaïlandais qui constatent impuissants la chute de leurs exportations. Ni le fait que la Thaïlande ait perdu cette année sa place de premier exportateur mondial de riz, et se retrouve désormais en troisième position derrière l’Inde et le Vietnam.

Plantation de riz à Suphanburi. Photo: tatnews.org

Le riz a toujours joué un rôle plus important que les autres denrées alimentaires sur la planète: il se situe là où l’économie, la sécurité alimentaire et la politique se rencontrent. Il n’est donc pas étonnant que la promesse Yingluck Shinawatra de réintroduire un système d’achat de riz par le gouvernement à des prix subventionnés soit l’une de ses promesses électorales les plus controversées.

Corruption, contrebande et pertes colossales.

Depuis le début du programme en octobre 2011, le gouvernement a accumulé plus de 12 millions de tonnes de riz, fixant arbitrairement le prix du riz thaïlandais de 100 $ à 200 $ plus cher que ses concurrents sur le marché international.

Immensément populaire dans les classes populaires du Nord du pays, qui vivent en grande partie de la riziculture, l’achat de la récolte par le gouvernement à un prix fixé par avance est loin de faire l’unanimité.

Les détracteurs du régime ne manquent pas d’arguments : retour massif de la corruption, des coûts de stockage qui vont se chiffrer en milliards de baht, et au final probablement des pertes colossales pour l’économie thaïlandaise. Elles s’élèvent déjà à plus de 3 milliards de dollars selon les calculs de la Banque Mondiale.

Bangkok s’inquiète aussi de la contrebande en provenance des autres pays de la région causée par son prix garanti aux riziculteurs.

Le Vietnam a annoncé la semaine dernière que ses exportations de riz pour l’année 2012 ont atteint 7,6 millions de tonnes, en hausse de 10% par rapport à l’exercice précédent. Les exportations de riz de l’Inde l’an dernier ont dépassé 9,5 millions de tonnes, selon les chiffres du ministère des l’Agriculture américain.

Des exportations en baisse de 35%

La Thaïlande n’a exporté que 6,9 millions de tonnes en 2012, en baisse de 35,5% par rapport aux 10,7 millions de tonnes qu’elle expédiait en 2011, selon les derniers chiffres de l’Association des exportateurs de riz thaïlandais et du ministère du Commerce. En 2013, la chute pourrait se poursuivre encore selon les spécialistes du secteur, car la FAO prévoit un année record pour la production et les exportations.

La FAO a revu en décembre à la hausse de plus de 3 millions de tonnes ses prévisions de juillet concernant le commerce international de riz en 2012, qui s’établirait à un volume record de 37,3 millions de tonnes (équivalent riz usiné), 2 pour cent de plus qu’en 2011.

C’est un débat qui touche au cœur du conflit politique actuel en Thaïlande: la subvention du riz est elle un ultime avatar de la démagogie populiste du gouvernement, ou un rééquilibrage nécessaire de la richesse nationale vers une classe sociale qui est longtemps restée à la traîne de l’essor économique du pays?

En Thaïlande nous avons à peu près 4 millions de foyers qui vivent de la culture du riz, mais ce sont en majorité des petites exploitations qui ne font pas plus que 15 rai. La plupart de ces petits agriculteurs ont un revenu mensuel qui ne dépasse pas les 10 000 baht. Mais s’ils sont pauvres ce n’est pas à cause des prix du riz, mais parce que leur exploitation est souvent trop petite pour être rentable.

estime Vichai Sriprasert, PDG de Riceland International, un des principaux exportateur de riz et président émérite de la Thai Rice Exporters Association.

Si vous regardez ce qui se passe dans les autres pays c’est très simple, à partir du moment où le gouvernement prend les commandes du secteur du riz, la qualité baisse. Jusqu’à présent le riz thaïlandais était connu sur le marché pour sa qualité supérieure ce qui le mettait à l’abri de la concurrence. Mais avec le nouveau programme de subventions des prix du gouvernement la qualité a tendance à baisser : pourquoi s’embêter à améliorer la qualité de sa production quand on sait que de toute façon on est certain de tout vendre un prix fixe au gouvernement ?

estime Ammar Siamwalla, économiste au Thailand Research Development Institute et professeur aux  Yale et Thammasat Universities.

l’Asie est un continent en croissance rapide et au fur et à mesure que ses habitants vont devenir de plus en plus riches ils vont manger moins et mieux et seront à la recherche d’aliments de meilleure qualité et plus diversifiés.

La Thaïlande devrait s’orienter davantage vers une production de meilleure qualité plutôt que de viser la quantité, or c’est exactement le contraire de ce que fait l’actuel gouvernement.

ajoute M. Siamwalla.

Le problème c’est que cette politique de subventions tombe à peu près au plus mauvais moment alors que le marché du riz est tiré vers le bas par une excellente récolte en Inde et des gains de productivité au Vietnam. La Birmanie qui était dans les années 50 le premier exportateur mondial de riz s’apprête également à faire les réformes nécessaires pour redevenir un acteur majeur sur ce marché.

Un outil politique, et une ambition économique

Le calcul politique qui sous tend le programme gouvernemental de soutien au prix du riz est assez transparent: une fois le programme de subventions installé, les millions de riziculteurs thaïlandais deviennent des électeurs captifs. La Thaïlande ayant perdu ses marchés à l’exportation, ils n’auront plus d’autres choix que de vendre leur récolte au gouvernement. En cas de changement de majorité ils auront donc tout à perdre.

Mais la politique populiste du riz est également sous tendue par des ambitions économiques et diplomatiques. Le gouvernement thaïlandais essaye de créer depuis longtemps, et sans succès, un cartel du riz entre les principaux pays exportateurs de riz de l’Association des nations du Sud-Est asiatique (Asean) que sont le Vietnam, la Birmanie, le Cambodge et le Laos sur le modèle de l’Opep. Entre autres objectifs, le cartel du riz aurait pour but d’augmenter les prix mondiaux du riz de 10% chaque année au profit des riziculteurs de la région.

L’idée est séduisante en apparence car les échanges mondiaux de riz, portant sur 37,3 millions de tonnes en 2012, se font à 71% dans la région asiatique, mais elle se heurte à des obstacles importants, comme l’absence de contrôle centralisé des États sur la production des riziculteurs.

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