La dispute entre le Cambodge et la Thaïlande autour du temple de Preah Vihear peut-elle dégénérer en un véritable conflit armé ?

Il semble que pour l’instant la voie de la négociation soit privilégiée par les deux pays, mais la manière dont la tension est très rapidement montée, démontre que les relations Cambodge -Thaïlande sont encore marquées par de vieilles plaies mal cicatrisées.

Il se trouve que la France est aussi partie à l’affaire pour des raisons historiques: tous les habitants de Bangkok savent (ou devraient savoir s’ils sont français) que le fameux “Victory Monument” qui trône en plein centre de Bangkok (et souvent aussi au milieu de fantastiques embouteillages) célèbre une victoire militaire de la Thaïlande contre la France.

Car pendant la seconde guerre mondiale, la France et la Thaïlande se sont retrouvés dans des camps opposés.

A l’époque la France règne encore sur un vaste empire colonial, qui jouxte la Thaïlande sur plusieurs endroits puisque l’Indochine française comprend le Laos, le Cambodge et le Vietnam.

Les conflits territoriaux ont déjà été nombreux entre le royaume du Siam et la France, et en 1940 la Thaïlande appuyée par le Japon considère que le déclenchement de la guerre en Europe crée des conditions favorables pour  récupérer certaines provinces du Cambodge qu’elle avait perdue entre 1900 et 1907 au profit de la France.

Le 12 juin 1940, le gouvernement thaïlandais avait accepté de signer avec la France un pacte de non-agression mais après la déroute française de 1940, le premier ministre thaïlandais Phibun entrevoit une chance pour la Thaïlande de récupérer les territoires abandonnés à la France durant le règne de Chulalongkorn (provinces de Melou Prei et de Tonlé Repou en 1904, et provinces de Battambang, de Sisophon et de Siem Reap en 1907).

Fin 1940, le France est affaiblie par sa défaite contre l’Allemagne, et la Thaïlande profite de cet affaiblissement pour attaquer l’Indochine française. Le but était de récupérer les territoires perdus situés au Laos et au Cambodge, pris par la France entre 1893 et 1907.

L'empire khmer au 13e siècle
L’empire khmer au 13e siècle

Le 9 mai 1941, la France, sous contrainte japonaise, signe un traité de paix, par lequel elle abandonne à la Thaïlande les provinces de Battambang et Siem Reap, prises au Cambodge, de Champassak et Sayaburi (prises au Laos qui cède ainsi les territoires sur la rive droite du Mékong) soit un territoire de plus de 50 000 km2 habité par 420 000 personnes.

Mais là encore, l’histoire se charge de retourner la situation. Après la guerre et la défaite japonaise, la France récupère les territoires qu’elle avait perdue contre la Thaïlande, mais par pour très longtemps : le Cambodge obtient son indépendance quelques années plus tard, le 9 novembre 1953, à la fin de la guerre d’Indochine.

Historiquement, la Thaïlande s’appuie aussi sur un passé glorieux, quoique un peu lointain, puisque ces territoires faisaient partie du royaume d’Ayutthaya (entre le 14e et le 18e siecle) et ensuite du royaume du Siam. Mais le Cambodge a lui aussi son passé glorieux qui lui sert de référence: avant la période d’Ayutthaya, la situation était inversée.

A l’époque c’est le Cambodge, ou plutôt l’empire khmer qui était à son apogée et dominait la province du Siam. Du 9ème au 14ème siècle, le Cambodge a connu un « âge d’or » dont l’apogée au 12ème siècle, sous les règnes de Suyavarman II (1113-1150) et Jayavarman VII (1181-1219), a été marquée par l’extension de l’empire angkorien sur une vaste région allant du Siam (actuelle Thailande) à la péninsule malaise. D’où les tensions qui resurgissent aujourd’hui: chaque pays a conservé dans sa mémoire historique la trace d’une période où l’un a dominé l’autre.