Le 63ème Festival de Cannes a récompensé pour la première fois un film Thaïlandais au sein de la Compétition Officielle.

Présidé cette année par le réalisateur américain Tim Burton, le Festival de Cannes a fait la part belle à l’Asie avec des films venant du Japon, de Corée du Sud, de Chine et de Thaïlande.

Le cinéaste indépendant Apichatpong Weerasethakul a remporté la plus haute distinction avec son nouveau film intitulé « Oncle Boonme celui qui se souvient de ses vies antérieures » ( “Uncle Boonmee Who Can Recall His Past Lives,”). Ce dernier raconte l’histoire d’Oncle Boonme qui, souffrant d’une insuffisance rénale, décide de passer ses derniers jours à la campagne dans l’Isaan, région pauvre au nord de la Thaïlande, avec sa famille. Là-bas, sa femme décédée apparaît sous la forme d’un fantôme et son fils longtemps perdu de vue  revient au sein du foyer. Ensemble, ils vont s’aventurer dans la jungle jusqu’à une mystérieuse grotte, le lieu de la première naissance d’Oncle Boonme où il finira par succomber.

Le film, extraterrestre, délirant, peuplé d’une faune et d’une flore magique (là, une sorte de singe noir aux yeux rouges, là un poisson-chat phallique et assoiffé) est surtout un film de fantômes simples. Les revenants sont familiers, ce sont des membres d’une même famille qui s’invitent à la table d’un homme malade qui sait que la mort l’attend.

Inspiré par une brochure écrite par un moine bouddhiste sur un homme qui pouvait raconter ses vies passées, "Uncle Boonme" reprend un des thèmes favoris de M. Apichatpong : la réincarnation. Le personnage principal, se rappele de ses incarnations passées, y compris une vie comme un buffle et une autre comme une princesse.

s’enthousiasme  Philippe Azoury dans Libération, qui qualifie le film ” d’oeuvre délirante et magistrale”.

Ce n’est pas la première visite d’Apichatpong à Cannes qui avait présenté un premier film « Blissfully Yours » en 2002, primé au festival Un Certain Regard. Il était ensuite revenu deux ans après avec « Maladie Tropicale » qui avait reçu le prix du Jury et était ainsi devenu le premier film thaïlandais à remporter un prix lors de la Compétition Officielle à Cannes.

« Oncle Boonme celui qui se souvient de ses vies antérieures » sera en compétition avec 17 autres films dans la sélection officielle, dont « Outrages », le dernier film du réalisateur japonais Takeshi Kitano qui signe son grand retour au film de yakuzas.

Apichatpong Weerasethakul, habitué du festival avec la présentation de trois de ses films, avait aussi fait partie du jury de la Compétition Officielle en 2008 sous la présidence du réalisateur et comédien Sean Penn.

Afin de promouvoir le cinéma thaïlandais, la princesse royale Ulbolratana avait aussi fait le déplacement jusqu’à la Croisette l’année dernière.

Une relation conflictuelle

Même si ils contribuent à la renommée du cinéma thaïlandais à l’étranger, les films d’Apichatpong Weerasethakul sont assez peu appréciés au pays du sourire où le public s’intéresse surtout aux blockbusters locaux et non au cinéma d’auteur.

En 2006, il présente « Syndromes and a Century » à la 63ème Mostra de Venise. Le film, dont la sortie en Thaïlande est prévue en 2007, est finalement amputé de quatre scènes jugées outrageantes par le Comité de Censure Thaïlandais. Refusant de voir son œuvre mise à mal, Apichatpong Weerasethakul décide d’annuler la sortie nationale, et de créer avec d’autres réalisateurs, le « Mouvement pour le Cinéma Thaïlandais Libre ». Il fait circuler sur internet une pétition pour la régularisation de la censure en Thaïlande, sans réussir pour l’instant a obtenir gain de cause.

Récemment, « Syndromes and a Century » a été diffusé en circuit restreint en Thaïlande, les quatre scènes qui avaient soulevé la polémique étant remplacées par un écran noir en signe de protestation.

Un cinéma en pleine expansion

Depuis plus de dix ans, le cinéma thaïlandais s’exporte de plus en plus à l’étranger et accroit ainsi sa renommée à travers le monde.

En 2000, le film « Les Larmes du Tigre Noir » de Wisit Sasanatieng, ce western ultra-stylisé, hommage aux productions kitsch des années 60, avait franchi les frontières et permis au public occidental de découvrir une nouvelle image de la Thaïlande.

OngBak - thailande-fr
Chaque année, plus d'une trentaine de films sont produits en Thaïlande. La plupart d'entre eux sont des films d'horreur qui puisent dans les nombreuses superstitions du pays pour effrayer les spectateurs, comme l'avait fait le film de fantômes « Shutter » en 2004; ou des films d'action comme « Ong-Bak » qui a rendu l'artiste spécialiste des arts martiaux Tony Jaa mondialement connu.

Les Frères Pang, originaire de Hong-Kong mais tournant en Thaïlande, ont aussi beaucoup contribué a cette expansion avec des films comme « Bangkok Dangerous » et « The Eye ».

Ce nouveau boom du cinéma thaïlandais s’inscrit dans une histoire un peu tumultueuse. En 1977, alors que le gouvernement impose une taxe sur tous les films importés en Thaïlande, les producteurs locaux en profitent et réalisent films sur films. Sur la fin des années 70 et pendant les années 80, plus d’une centaine de films sont produits chaque année en Thaïlande, dont 150 en 1978. Mais le rythme s’essouffle et la relève n’assure plus.

Les années 90 sont calmes, pas plus d’une dizaine de films sur bobines annuellement jusqu’en 1997, où la Thaïlande, enlisée dans la crise économique asiatique, voit l’émergence de nouveaux talents prêt à redonner des couleurs au cinéma local. Nonze Nimibutr, Pen-Ek Ratanaruang et Wisit Sasanatieng constitueront la nouvelle vague du cinéma thaïlandais avec des films comme « Monrak Transistor » ou « Dang Bireley’s and Young Gangsters ».

Souvent comparé au cinéma de Hong-Kong durant l’age d’or des années 90, le cinéma thaïlandais s’impose de plus en plus avec un cinéma de genre qui sait trouver son public.

Melaine Brou

Apichatpong Weerasethakul

Apichatpong grandit à Khon Kaen dans le nord-est du pays, où ses parents sont médecins dans un hôpital. Il étudie à l'Université de Khon Kaen et obtient un Master en Architecture en 1994.

Apichatpong  commence à réaliser des courts-métrages dès 1993 et va ensuite étudier aux Etats-Unis où il obtient un Master en Beaux-Arts de l’Art Institute de Chicago en 1997.

Depuis le début des années 1990, il tourne des films documentaires ou expérimentaux centrés principalement sur des habitants et des régions modestes de la Thaïlande, tout en évitant de verser dans le genre « social réaliste ». Son premier long-métrage Dokfa nai meuman (Mysterious Object at Noon) mêle des images documentaires et des passages narratifs improvisés.

Dans ses films, Apichatpong Weerasethakul respecte peu la succession chronologique de l’action. L’intrigue se répète parfois à partir du milieu du film dans un contexte complètement bouleversé (de la société humaine à la jungle dans Tropical Malady), d’un hôpital ancien à un autre très moderne dans Syndromes and a Century. Il y a deux ans, le gouvernement français a fait M. Apichatpong Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres. O.L