Comme tous les ans depuis le 13ème siècle, en Thaïlande, la fête de Loy Krathong coïncide avec la pleine lune du douzième mois lunaire (Phreutsadjikayaun, du sanskrit Vrishchika, i.e. Scorpion.).

En cette saison, le niveau des rivières est au plus haut et la lune au maximum de sa luminosité (car le ciel est le plus obscur), créant ainsi une atmosphère particulièrement romantique. La fin de la mousson est traditionnellement marquée par la fête de Auk Phansa (sortie de la période de carême), lors de la pleine lune précédente (i.e. celle d’octobre, dans la Balance).

Dès la tombée du jour, tous les plans d’eau, rivières et canaux, lacs et littoraux, s’illuminent de centaines de milliers (voire de millions) de lanternes flottantes, en forme de lotus. Cette fleur est le symbole de la libération spirituelle: elle naît souvent dans la boue mais s’élève au-dessus et s’épanouit, immaculée, en échappant à la souillure. Cela nous rappelle que l’âme éternelle et pure doit se dégager de la matière éphémère et putrescible…

Loy Krathong est certainement la plus belle fête de Thaïlande, parfois aussi appelée «festival des lumières». En thaï, ‘Loy’ signifie «flotter, surnager», et ‘krathong’ «panier en matière végétale».

L’affluence sur les berges est grande, alors que certains, comme les enfants à l’école, ont déjà préparé leurs krathongs longtemps à l’avance. Ils sont généralement faits de feuilles de bananier, on y dépose une bougie allumée, des fleurs et trois bâtons d’encens. Parfois, on y glisse des pièces de monnaie pour s’attirer des «mérites», sortes de bons points pour la vie présente ou future.

Le lâcher du krathong est assimilé à un oracle

on dit que si la flamme de la bougie reste allumée jusqu’à ce que l’embarcation soit hors de vue, votre vœu sera réalisé. Et si deux amants lancent un krathong ensemble, ils vivront un amour heureux…

Le spectacle de tous ces lampions voguant sur l’onde et de la foule des Thaïlandais pieusement mais joyeusement rassemblés sur les berges est proprement… électrisant. Mais comme s’il ne se suffisait pas à lui-même, il est souvent accompagné de festivités que chaque ville organise à son goût: feux d’artifices, parades, courses de bateaux ou de krathongs, dégustations de cuisine thaïe, et bien sûr l’inévitable concours de beauté «Nang Nophamat».

Selon la légende, Nophamat était (selon les sources) soit la favorite, soit la petite-fille du fameux roi Ramkhamhaeng (règne: +/- 1275-1317). Pour mémoire: il est le fondateur de la nation, on lui attribue la mise au point de l’alphabet siamois (emprunté aux langues indiennes), son époque correspond à l’âge d’or de Sukhothai.

Nophamat représente la princesse idéale, belle et intelligente, l’archétype de la vertu… domestique. Elle aurait été la première à confectionner un krathong pour rendre hommage à Mae-Khongkha ou Ma-Ganga (chère aux hindous), i.e. le Gange en tant que déesse-mère (l’eau nourricière), qui a donné, par correspondance, son nom au Mékong (et oui, ça vient de là !).

On efface tous les ennuis

La démarche est claire: on lui confie (via le krathong) tous les ennuis et tous les péchés des douze mois précédents. Ce rituel permet aussi de s’attirer les grâces de la «Bonne Mère» pour l’année à venir.

Au-delà du concours de beauté, vous verrez ce jour-là un grand nombre de jeunes femmes endosser fièrement le costume doré de Nang (Demoiselle) Nophamat (nom forcément dérivé du sanskrit et voulant dire «or pur»).

Concordance remarquable, cela équivaut peu ou prou à notre fête de la Sainte-Catherine, qui tombe le 25 novembre ! Pour ceux qui l’auraient oublié, la Sainte-Catherine était le jour où l’on fêtait les «vieilles filles», désignant les femmes de plus de 25 ans non mariées et qu’on appelait «Catherinettes» (elles, tout de blanc vêtues)…

On recense au moins deux autres origines possibles de Loy Krathong. Pour certains, outre la référence au Gange, cela découlerait (sic) d’une autre coutume indienne appelée « Deepa-walee », célébrant, par des milliers de lampes à huile posées sur le rebord des fenêtres, le retour triomphal de Rama dans sa capitale d’Ayodhya lors de la «lune noire» de novembre. Pour d’autres, il s’agit de montrer son respect le plus sincère à l’empreinte (lumineuse?) de pied supposément laissée par le Bouddha sur la berge de la rivière mythique Nammadhammahantee… Voilà donc d’une tradition très ancienne dont la signification varie selon les croyances et les régions, de même que la manière de la célébrer.

Raymond Vergé