A l’occasion du Nouvel-An, mon « chéri » est allé rendre hommage à ses ancêtres chinois, et tout particulièrement à son « Agong », (grand-père en chinois).

J’aime raconter l’histoire de cet Agong venu au tout début du siècle dernier de son Fujian natal, ayant fui famines et guerres qui sévissaient alors dans toute la Chine, pour tenter sa chance au Siam.

A pied, il avait traversé des frontières et des montagnes, avec pour tout bagage, son oreiller de céramique sur lequel il dormait et dans lequel il gardait toute sa richesse : quelques papiers et de l’argent.

Il entreprenait un long chemin vers les plantations de caoutchouc de la Malaisie où les britanniques préféraient la main-d’œuvre Chinoise à celle, Malaise, plus dolente.

Agong s’arrêta en chemin car il avait croisé le regard langoureux d’une jolie Siamoise. Alors il a posé son balluchon à Utaradit et s’est marié avec « Mae Kao maa » (vieille mère chien).

Les enfants d’Agong

Ils ont eu des enfants qui sont devenus de purs thaïs, ils n’avaient pas le choix, il leur fallait à l’époque oublier leur culture chinoise pour adopter la siamoise et prendre des noms thaïlandais. C’est pourquoi beaucoup de noms thaïs aujourd’hui sont si longs, ils sont un mélange de chinois et de thaï.

Les enfants d’Agong se sont fondus dans la culture de leur pays d’accueil. Un des fils – le père de mon « chéri » – est devenu garde-forestier.

Il aimait tellement les arbres que, lorsque l’un d’entre eux mourait, il restait des jours sans parler (dixit sa femme).

J’ai vu le visage de cet homme un peu avant sa mort, l’amour de sa famille autour de lui et le geste de mon compagnon, encore dans l’armée à l’époque, caressant le visage de son père comme on caresse la joue d’un petit enfant. Je n’ai jamais, de ma vie, vu geste de plus grande tendresse et de respect mêlés.

J’ai raconté en partie la vie de ce couple chinois/thaï dans “THÉÂTRE D’OMBRES”*, il y a tellement de vies mêlées dans ce roman !

On peut aimer une personne pour ce qu’elle est, pour moi ça va au-delà de la personne de mon compagnon, je l’aime avec son histoire et son passé auquel il est intimement lié, avec son grand-père amoureux, avec son père garde-forestier, avec sa mère qui lui a appris les gestes gracieux des danses et des chansons traditionnelles thaïes.

Je l’aime « parce que » et « à cause de » l’intégration de sa famille dans une autre culture, sans jamais oublier ses origines.

Je garderai toujours en mémoire sa réaction lorsque, au cours d’un voyage en Malaisie, il retrouvait, par le plus grand des hasards ( ?) une descendante de sa branche chinoise dans un temple de Penang (île presque totalement chinoise en Malaisie).

Mais pour être tout à fait honnête, il arrive que sa trop grande « thaïness » m’agace aussi. Et au plus au point. Nobody is perfect. Lui ou moi.

La fierté des sino-thaïs

En Thaïlande, une grande majorité de citadins a des origines chinoises, celles qu’on avoue, celles qu’on cache, celles qu’on doit taire, celles qu’on revendique : question d’époque !

Lorsqu’ils sont arrivés en masse, entre 1920 et 1940, à ces migrants chinois affamés et nus pieds, on  a dit : « oubliez votre culture, votre langue, soyez Thaïs, prenez des noms siamois ».

Ce qu’ils firent. Pas le choix ! Ils étaient devenus si « Thaïs » que certains partirent même en croisade contre leur propre pays d’origine (faut dire que c’était l’époque Mao)

Les temps changent les sino-thaïs aujourd’hui sont dans la banque, les affaires, l’économie, la bourse. Il paraît que 80 % des capitaux sur le marché appartiennent à ces nationaux d’origine chinoise.

Aujourd’hui on n’a plus honte d’être de descendance chinoise, mieux les « gros pontes » font leur « coming out ». Prayut (chef de la junte) se vante aujourd’hui d’être d’origine chinoise.

Avant lui presque tous les Premiers Ministres étaient d’origine chinoise : Baharn Silapa-Archa, Samak Sundaravej, Chuan Leekpai, Thaksin, Somchaï, Abbhisit, Yingluck !

* Editions de la Frémillerie –

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