La résilience de l ‘économie thaïlandaise a encore de quoi surprendre les économistes les plus blasés : une croissance de 12% de son produit intérieur brut au cours du premier trimestre de 2010, soit son meilleur taux de croissance depuis près de 15 ans, près de trois fois supérieur au 1er trimestre 2009, et environ le double du trimestre précédent. Pas trop mal pour un pays qui était encore au bord de la guerre civile il y a quatre mois.
Et maintenant? La Thaïlande peut-elle continuer comme si rien ne s’était passé, et retrouver son image de paradis sabai sabai, de démocratie florissante prospérant grâce a un sens bien particulier du compromis qui fait le charme de la société thaïe ?
Étant donné les dizaine de milliers de sites Internet bloqués, (depuis 2007, le Computer Crime act permet de censurer tout et n’importe quoi sous n’importe quel prétexte), il sera difficile de rendre à la Thaïlande son image de pays (celui de la Constitution de 1997 en fait…) qui consacre la protection des droits de l’homme et de la liberté d’expression, sans faire quelques changements.
Un système éducatif archaïque
Est ce à dire que l’opposition qui a bruyamment occupé la rue pendant deux mois, amenant le royaume au bord du chaos avait raison ? Sûrement pas. La dernière chose dont la Thaïlande a besoin c’est un retour de la démagogie populiste, de surcroît portée par des apprentis révolutionnaires d’une autre époque. Historiquement l’échec des “chemises rouges” peut être analysé comme la dernière tentative d’offensive de l’idéologie maoïste en Asie : une stratégie d’ endoctrinement et de manipulation des masses (encore possible à cause d’un niveau d’éducation inférieur à ce qu’il devrait être), et une tactique qui repose sur l’encerclement des villes par les campagnes.
La faute à qui ? A tout le monde et à personne : ni Abhisit et le Parti démocrate, ni Thaksin ,et le Thai Rak Thai, qui a occupé le pouvoir pendant plus de 5 ans, n’ont suffisamment investi dans la refonte d’un système éducatif archaïque, qui met l’accent sur l’alphabétisation de base et la mémorisation. Contrairement à la Thaïlande – Taiwan, Singapour, la Chine et l’Inde – ont investi massivement dans l’enseignement universitaire, l’enseignement de la langue anglaise, et le développement de compétences à plus forte valeur ajoutée.
Ou sont les Acer, Asus, Samsung de la Thaïlande ?
Tous ces pays ont par conséquent réussi à bâtir des entreprises innovantes avec une perspective mondiale, pendant que la Thaïlande et ses grands groupes, sont restés ancrés dans la fabrication et l’assemblage pour les entreprises étrangères.
Ou sont les Acer, Asus, Samsung de la Thaïlande ? Quelle entreprise thaïlandaise peut-elle se classer dans la catégorie des leaders mondiaux ayant acquis une part de marché significative dans son domaine, comme par exemple le Taïwanais Acer pour les ordinateurs individuels ?
Contrairement à la Chine ou Singapour, le gouvernement thaïlandais n’a pas su créer des incitations efficaces pour aider les entreprises à améliorer le niveau de leur main-d’œuvre, et par la mime leur avantage compétitif. Les grands conglomérats thaïs, historiquement protégés par des liens étroits avec les hommes politiques, ont trop tardé pour affronter la concurrence internationale, alors même que la Thaïlande signait des accords de libre-échange avec la Chine et d’autres pays d’Asie du Sud-Est.
Un gouvernement sans véritable volonté de reformer
Pour le moment le gouvernement Abhisit n’a pas présenté de plan sérieux pour réformer le système éducatif, relancer la compétitivité , ou restaurer un environnement plus favorable aux investissements. Son plan économique ressemble plus à une copie des plans populistes de M. Thaksin, qu’à une véritable réforme des archaïsmes de l’économie thaïlandaise (secteur bancaire oligopolistique sans véritable concurrence, insécurité juridique, marches financiers anémiques).
Or seules des réformes de fond, comme celle du système éducatif peuvent être efficaces sur le long terme, contre les discours démagogiques et le clientélisme dans les campagnes.
Abhisit semble également incapable de contenir le pouvoir de l’armée, et la nomination du général Prayuth Chan-Ocha, à la tête de l’armée ne devrait pas arranger les choses : il est connu pour être un partisan de la ligne dure, et c’est lui qui a dirigé l’offensive contre les chemises rouges.
Autant de facteurs qui rendent plus compliquée la transition du royaume vers une véritable démocratie. A moins que les Thaïlandais puissent se satisfaire du modèle chinois : un régime autoritaire qui mise sur l’expansion économique pour étouffer les tensions sociales.
Olivier Languepin
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Si les rouges avaient gagné
Plusieurs solutions possibles :
Hypothèse 1 : Le général renégat Seh daeng (paix à son âme) prend le pouvoir.
Probable conséquence : Une dictature style Birmanie.
Hypothèse 2 : Thaksin reprend le pouvoir.
Probable conséquence : Une dictature style Pinochet.
Hypothèse 3 : La guerre des chefs rouges pour le pouvoir.
Probable conséquence : l’anarchie complète, la guerre civile, intervention de l’armée.
Dans tous les cas, une régression économique, et une régression sociale.
Mais les rouges n’ont pas gagné.
Le premier ministre Abhisit, légalement en poste a du pain sur la planche, et plus trop de temps avant la fin de son mandat pour effectuer les réformes sociales nécessaires pour combler l’injuste fossé entre la classe moyenne et les laissés pour compte des provinces rurales.
Le problème le plus urgent en Thaïlande étant la création d’un système éducatif digne de ce nom, qui implique une refonte totale, il sera très difficile pour Abhisit de faire ce qu’il faut à temps, les effets positifs ne pouvant se remarquer qu’au bout une ou deux « génération » d’élèves.
Pourtant, la seule solution pour calmer le jeu durablement est que la foule des rouges sente l’amélioration de sa condition rapidement pour reprendre espoir et choisir le chemin de la démocratie plutôt que celui de la révolution qui immanquablement mènerait à la dictature.
Il ne reste qu’à souhaiter qu’Abhisit soit conscient des besoins du pays en matière d’égalité et de l’urgence des réformes à accomplir, qu’il sache insuffler l’espoir permettant d’attendre les effets des réformes. Comment accomplir ce quasi miracle en si peu de temps ? Ce n’est pas gagné ! Bien que la “solution” Abhisit soit la meilleure parmi les hypothèses citées plus haut, les chances de stabilisations durables demeurent incertaines. L’armée, par le biais de l’état d’urgence, maintient une paix artificielle qui n’est pas bien vue de l’étranger, et qui n’est peut être plus nécessaire si les réformes s’engagent rapidement. Si le premier ministre arrive à résoudre cette équation, il demeurera dans l’histoire. Sinon, il n’aura été qu’un premier ministre inutile, de plus parmi la longue liste de ses prédécesseurs.
Bonne chance Thaïlande.
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