Le Premier Ministre Abhisit Vejjajiva et son gouvernement ont mis en place un nouveau programme de soutien aux familles endettées. Ce programme vise également à limiter le recours aux usuriers qui prélèvent sur les débiteurs des taux anormalement élevés.

Avec des salaires mensuels moyens qui se situent en moyenne entre 10000 et 15000 bahts, il est souvent difficile pour certaines familles thaïlandaises de finir le mois ou de faire face à une dépense exceptionnelle, sans avoir recours a un emprunt.

Une des particularités de la Thaïlande, souvent perçue comme un archaïsme de son système financier et bancaire, réside dans la persistance des usuriers (loan sharks) qui prospèrent sur le dos des emprunteurs les plus défavorisés. Ces derniers prêtent une certaine somme d’argent avec des taux d’intérêt exorbitants, généralement 10 a 20% de la somme empruntée, à payer mensuellement. Les loan sharks n’ont en général aucun lien avec les banques ou un quelconque organisme officiel.

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En dépit de plusieurs campagnes successives d'aide aux personnes endettées, la Thailande n'arrive pas à se débarrasser des "loan sharks"

Les proies les plus faciles sont les personnes endettées qui ont besoin d’argent rapidement. Plutôt que de se tourner vers une banque qui va vérifier que le passé bancaire du client est en règle, ces personnes vont s’adresser à un usurier. Celui-ci sera plus enclin a prêter la somme d’argent désirée, sans rien demander en contrepartie. Vient ensuite l’heure des remboursements qui, avec des taux d’intérêts très importants, deviennent difficiles à honorer. En cas de non-paiement, les loan sharks n’hésitent pas à utiliser l’intimidation et la force afin d’obtenir gain de cause.

Dans une interview au Bangkok Post, l’un d’eux témoigne

Lorsque le débiteur néglige le paiement, je commence par doubler les intérêts. S’ils ne paient toujours pas, je vais envoyer mon personnel : ça peut être des fonctionnaires gouvernementaux que je fais travailler à temps partiel, pour les faire surveiller en dehors de leur domicile. Nous prenons des photographies du débiteur pour leur faire peur et les obliger à commencer à payer.

Si cela ne fonctionne pas, on écrit une note disant: «Vous me devez de l’argent et vous ne voulez pas le rembourser.” Affichée sur le lieu de travail de la personne pour l’embarrasser.

Si rien ne marche, je vais envoyer un des mes agents à leur domicile pour confisquer un téléphone cellulaire, un ordinateur portable, ou une moto, ou pour demander de l’argent a leurs parents.

Dans certains cas, les sommes empruntées sont de l’ordre de 2000 ou 3000 bahts, petites sommes qui se voient doublées ou triplées à cause des intérêts. Un rapport datant de 2007 montre que 32% des Thaïlandais utilisent les services d’un usurier, alors qu’ils n’étaient que 26% en 2006. Un autre rapport déclare que plus de 21% des foyers de Bangkok possédant un salaire mensuel inférieur à 15 000 bahts devaient de l’argent à des loan sharks.

Beaucoup de ménages endettés viennent des campagnes, en particulier dans les régions du Nord-Est de la Thaïlande, où les salaires sont les plus bas. Ces personnes sont des proies parfaites pour les usuriers, qui n’hésitent pas à s’emparer des biens, ou de la maison d’une famille si cette dernière n’est pas capable de les rembourser. Dans certains cas, les loan sharks prélèvent les intérêts directement sur le salaire à la banque, ne laissant que quelques centaines de bahts à la personne endettée pour finir le mois.

Les prêts requins dans les filets du gouvernement

Afin de contrer l’influence néfaste des requins prêteurs, le gouvernement a décidé de mettre en place un programme pour aider les personnes endettées à rembourser leurs dettes.

Divisé en trois étapes, ce programme permettra aux personnes concernées  d’emprunter de l’argent aux banques participant à l’opération avec des taux d’intérêts minimes.  La condition requise pour être éligible a ce programme est d’avoir une dette ne s’élevant à pas plus de 200 000 bahts.

Sept banques font partie de ce programme: Government Savings Bank, Bank for Agriculture and Agricultural Cooperatives, Government Housing Bank, SME Bank, Islamic Bank, Krung Thai Bank et Small Industry Credit Cooperation.

Ensuite, le remboursement de la somme empruntée aux banques se fera mensuellement avec un taux d’intérêt de 1%, chiffre bien minime comparé aux 20 ou même 50% demandés par les usuriers. La plupart des remboursements se feront sur une durée de huit ans.

Finalement, les personnes enrôlées dans ce programme se verront remettre une carte qui leur permettra de continuer à emprunter aux banques avec le même taux d’intérêt, mais pour des sommes n’excédant pas plus de 50% de la somme empruntée initialement. La carte leur permettra d’emprunter comme cela quatre fois.

Le gouvernement a débloqué 20 milliards de bahts (environ 500 millions d’euros) pour aider les banques participant à cette opération.

En décembre 2009, Abhsit Vejjajiva avait lancé un programme similaire. Près de 1,2 millions de personnes avaient été admises pour une dette cumulée de 122 milliards de bahts. D’après le Premier Ministre, 600 000 participants ont pu rembourser leurs dettes.

Des mesures contestées

Régulièrement,  les gouvernements en place, comme ceux d’Abhsisit Vejjajiva ou Thaksin Shinawatra, lancent des opérations afin de contrer les activités des usuriers et d’aider les personnes endettées. Mais, le chiffre des personnes utilisant les services des loan sharks ne cesse pourtant d’augmenter.

Des membres de l’opposition contestent déjà le programme lancé par le gouvernement, jugeant l’initiative plus propice à engranger des voix pour les prochaines élections qu’à résoudre définitivement le problème. Samphan Techa-athik, scientifique politique à l’université Khon Kaen, estime que le programme est inaccessible pour les personnes incapables de rembourser mensuellement. “Je pense que le problème n’est pas traité à sa racine”, déclare-t-il.

Wilaiwan Sae-tia, chef de file du Thai Labour Solidarity Committee, explique que “le problème des usuriers est un cercle vicieux. Comment le gouvernement peut être sûr que les personnes participant au programme ne retourneront pas voir les loan sharks?”

En effet, même si le gouvernement tente d’enrayer financièrement ce problème, il n’a pour le moment pas annoncé de mesures légales destinées a combattre la présence des usuriers, bien ancrée dans le paysage économique de la Thaïlande.

Melaine Brou