Alors que la Thaïlande est embourbée dans des crises politico-économiques depuis dix ans, une problématique majeure à moyen et long terme pointe le bout de son nez dans le Royaume : le vieillissement et la baisse inéluctable de la population.

Ainsi, à l’encontre de beaucoup de clichés, la Thaïlande fait très peu d’enfants, le taux de fécondité actuel, de l’ordre de 1,55 enfants par femme, étant bien plus bas qu’un pays comme la France avec près de 2 enfants par femme.

Surtout, la singularité de la Thaïlande vient du fait que c’est l’un des seuls pays dit émergent dans cette situation, cette différence étant du reste très marquée avec les autres membres de l’ASEAN.

Tirés des données du rapport sur la population mondiale de l’ONU en 2012, voici quelques graphiques qui mettent en lumière de manière criante ces différences.

Brunei et Singapour, deux cas très spéciaux et incomparables à la Thaïlande pour plusieurs raisons, n’ont pas été intégrés aux graphiques pour ne pas les alourdir inutilement.

Taux de fécondité, croissance de la population et âge médian

Suite à une campagne d’éducation sexuelle et un planning familial bien organisé depuis la fin des années 60, on constate une chute spectaculaire du taux de fécondité dans le Royaume, plus rapide et en avance sur les autres pays de l’ASEAN.

Pour parler chiffre, en 1970 il y eut environ 1,4 millions de naissances. En 2015, le pays a légèrement dépassé la barre des 700 000 naissances.

Ainsi, en moyenne depuis 1970, il y a 15 000 naissances en moins chaque année en Thaïlande.

Cette baisse de la natalité et ces différences se retrouvent dans le graphique de la croissance de la population: le nombre de naissances diminuant, la population augmente moins rapidement.

De manière logique, au plus tard en 2025, au plus tôt en 2018, la population thaïlandaise va littéralement commencer à diminuer, de manière inexorable, premier pays émergent dans cette situation selon les données de l’ONU, à l’exception de micro-nations et de cas très spéciaux tels Cuba, la Corée du Nord ou la Chine suite à sa politique de l’enfant unique.

Outre la baisse de la population, l’effet pervers de la baisse rapide du taux de fécondité se distingue dans la courbe de l’âge médian.

En 2015, l’âge médian en Thaïlande se situe à 37 ans

En 1980, la moitié des thaïlandais avait moins de 20 ans alors qu’en 2020, la moitié de la population thaïlandaise aura moins de 40 ans mais surtout, l’autre moitié, soit environ 35 millions de personnes, aura plus de 40 ans.

L’âge médian à l’échelle mondiale est de 29 ans, ce qui classe d’office la Thaïlande dans la catégorie des pays dont la population n’est plus toute jeune.

Surtout, ce graphique pointe une différence énorme avec les autres pays de l’ASEAN dont la plupart sont encore très jeunes.

Il suffit d’aller en Malaisie, au Cambodge ou aux Philippines pour observer de visu cette différence.

Vieillissement de la population et conséquences

Selon des données du site Bloomberg, la Thaïlande serait même le troisième pays au monde qui vieillit le plus vite, juste derrière la Corée du Sud et Singapour.

Le vieillissement de la population touche bien évidemment aussi des pays européens mais ceux-ci ont un système de protection sociale, malgré tous leurs défauts, qui tient encore la route.

Le système de retraite thaïlandais est encore très peu développé

Si certains en bénéficient, par exemple les fonctionnaires, pour une grande partie de la population, il leur faudra compter sur leurs économies ou les investissements qu’ils auront réalisés durant leur vie, continuer à travailler, ou bien se reposer sur leurs enfants comme cela se fait traditionnellement.

Il y a une trentaine d’années, lorsque les parents devenaient âgés, il y avait 3 ou 4 enfants voire plus pour s’en occuper. Aujourd’hui, il y en a 2, parfois 3, mais de plus en plus souvent un seul voire pas du tout.

Couplée à l’allongement progressif de l’espérance de vie, cette solidarité traditionnelle dans les familles est mise à rude épreuve, surtout dans les campagnes qui subissent l’exode rural.

Le résultat est que même si un couple a 1 ou 2 enfants, ils ne vivent pas forcément au village pour s’occuper de leurs parents.

Les plus de 60 ans sont déjà la catégorie d’âge la plus pauvre du Royaume. Avec l’explosion programmée de leur nombre – 31% de la population soit 22 millions en 2050 d’après le portail ageinginasia.org – cette problématique pourrait devenir un vrai fléau social.

Les défis économiques du vieillissement

La Thaïlande a des possibilités de croissance économique encore énorme. Mais ce potentiel pourrait être freiné pour la simple raison qu’elle n’a pas les ressources humaines pour le réaliser.

Le Royaume constate déjà un manque de main d’œuvre dans plusieurs secteurs, ce qui explique en grande partie que le taux de chômage officiel soit si bas.

Il y a en effet chaque année de moins en moins de jeunes qui entrent dans le marché du travail alors que le pays continue de créer des emplois dans le secteur formel, lentement mais surement.

La conséquence est que les salaires augmentent très rapidement, de l’ordre de 5 à 10 % selon les secteurs.

Il s’agit d’une bonne chose, sauf pour faire face à moyen terme à la concurrence des pays voisins qui risquent à l’avenir d’attirer les investisseurs, ceux-ci préférant toujours des terres moins onéreuses, surtout si les jeunes Thaïlandais sont rares et que leur productivité stagne, le développement économique réclamant des individus toujours mieux formés.

Plus généralement, cette baisse de la population va profondément changer le mode de vie thaï dans les 30 années à venir.

Basé jusqu’ici sur une société des services grâce à l’inépuisable main d’œuvre, la futur Thaïlande ressemblera davantage à la société japonaise avec ses robots à l’accueil plutôt que ses trois souriantes jeunes femmes exécutant un waï.

Quelles solutions ?

En théorie, il y aurait deux solutions pour freiner la baisse et le vieillissement de la population, mais l’immigration et les incitations à faire un enfant risquent d’être sans effets.

La main d’œuvre peu chère grâce à l’immigration, dont la Thaïlande a allégrement bénéficié suite à l’histoire chaotique de ses propres voisins (Cambodge, Laos, Myanmar), va se raréfier pour la simple raison que ses trois pays se sont réveillés politiquement et économiquement, le Laos et le Cambodge il y a une dizaine d’années et environ cinq ans pour le Myanmar.

La conséquence est que des citoyens de ces pays auront moins besoin de tenter l’aventure thaïlandaise mais surtout, parmi les nombreux déjà présents en Thaïlande, un certain nombre pourrait tenter un retour au pays puisque, quitte à faire un travail mal payé avec peu ou pas de droits, autant le faire chez soi.

Il faudrait entre 100 000 et 300 000 immigrés chaque année pour simplement espérer stabiliser la population du Royaume.

Où la Thaïlande pourrait-elle “piocher” une main d’œuvre légale, peu chère et qualifiée, cela reste un mystère, le pays ayant actuellement la fâcheuse tendance à se refermer sur lui-même et ignorer ses problématiques de fond.

Aides financières et déductions fiscales ?

Quant à des aides financières ou des motivations fiscales pour faire un enfant, cela n’aurait que des effets marginaux, et ne changerait pas fondamentalement la logique de baisse et de vieillissement de la population.

Il existe toutefois une lueur d’espoir grâce à l’établissement en janvier 2016 de l’AEC. Ce programme devrait permettre la libre circulation dans l’ASEAN, non pas des personnes, mais de huit corps de métiers (docteur, dentiste, infirmière, ingénieur, architecte, comptable, industrie du tourisme, géomètres).

Grâce à l’AEC, nul doute que la Thaïlande va essayer de jouer son rôle de leader régional, notamment pour attirer des infirmières et des gens dans le secteur du tourisme pour maintenir la qualité et la quantité de ses services à court terme.

Toutefois, comment le pays fera pour gérer cette problématique autant économique que sociale à moyen et long terme, cela reste une grande question.