Peter Gendel se tenait dans le petit coin-cuisine du yacht, il regardait l’eau se balancer gentiment dans la marmite qu’il venait de mettre sur le gaz. Un jour s’était écoulé depuis l’événement, mais il ne pouvait toujours pas s’empêcher de repenser à la vieille gitane de la mer et à son chien : Peter était en train de photographier une femme âgée qui portait un panier d’escargots – elle allait probablement en faire des bijoux, parce qu’ils étaient vraiment trop petits pour être mangés – quand elle s’était mise à tirer son bâtard par une patte antérieure et à le traîner sur la plage de galets, malgré ses glapissements.

Il avait pris une photo de cet acte cruel, mais il n’avait aucune idée de ce qu’il en ferait. Sur le rivage, Grand-mère Mousson avait soigneusement attisé les braises à la levée du jour. Elle avait également puisé de l’eau dans le ruisseau avant qu’aucune personne du village n’ait eu une chance de la souiller en s’y baignant. Enfin, elle avait rincé une poignée du riz distribué par le gouvernement puis elle l’avait mise dans l’eau.

À présent, elle retirait du panier d’escargots que Sœur Citronnelle lui avait donné la veille au soir, ceux qui étaient morts. Ai Dtam était assis dans un coin de la hutte, se léchant les babines et ne détachant pas son regard des mains de sa maîtresse. Il savait que ces escargots-là lui étaient réservés.

Peter commença à trier les coquillages dans son seau. Il les avait ramassés dans des flaques d’eau de mer au fin fond d’une plage sans nom qui n’avait pas été visitée par des Européens depuis la deuxième guerre mondiale, en supposant qu’elle l’ait été un jour. Les mollusques étaient de beaux spécimens de murex de Troschel qui lui rappelleront ce jour riche en découvertes, quand il sera de retour dans son bureau à la quincaillerie familiale, à Roselyn en Oregon. Grand-mère Mousson coinça une cuillère entre les poignées de sa marmite de riz, pour que le couvercle reste bien fermé, et elle la retira du feu. Elle mit une deuxième marmite d’eau sur les braises, puis elle finit de trier les escargots.

Elle jetait ceux qui étaient morts à Ai Dtam, qui les broyait avec ses puissantes molaires avant de les avaler tout rond. Ai Dtam était le fidèle compagnon et le gardien de Grand-mère Mousson depuis que ses deux fils n’étaient pas revenus de la pêche, l’année dernière. Elle s’était dit qu’ils passaient juste l’hiver dans la baie de Phang Nga et qu’ils rentreraient lorsque le gouvernement viendra distribuer du gasoil et du riz, une fois la mousson passée. Mais il faisait beau depuis deux mois maintenant, et toujours aucun signe des garçons.

S’ils ne réapparaissaient pas d’ici un mois, elle irait acheter une chemise noire et elle leur allumerait des cierges au temple. Cette perspective ne l’accablait pas, parce qu’elle lui était familière et ce depuis l’enfance. Cela avait commencé avec son père, et cela s’était reproduit pour chacun de ses deux maris et, finalement, pour ses fils. C’était surtout le poids de la solitude qui oppressait sa chétive poitrine. [À suivre…]

© Steve Rosse 2005, © Éditions GOPE 2011 pour la version française

Trois autres Thaïlande d’Étienne Rosse n’est pas un guide touristique sur la Thaïlande ou Phuket. Il peut cependant venir en complément et préparer le futur voyageur ou expatrié à voir au-delà des apparences et à éviter certaines erreurs.

Trois autres Thaïlande d’Étienne Rosse

En effet, il n’est pas nécessaire de rechercher la « vraie » Thaïlande dans les régions les plus éloignées ou les plus déshéritées parce qu’elle est partout, là sous vos yeux, même dans une zone très touristique comme Phuket, comme nous le montre si bien Étienne Rosse.

Ce livre a été conçu pour être lu aisément pendant votre voyage ou sur votre lieu de vacances.De petit format, il est réalisé avec du papier ivoiré non réfléchissant pour une lecture confortable en extérieur. Composé d’histoires courtes et indépendantes, la lecture peut aisément être interrompue et reprise à volonté.