L’affaire est embarassante pour la CIA et les Etats-Unis, mais elle l’est aussi autant pour la Thaïlande, qui a toujours nié avoir autorisé la CIA  à procéder à des interrogatoires sur son territoire.

Dans un récent communiqué l’ONG Reporters sans frontières estime que  “la crédibilité du pays[Les Etats Unis] en matière de droits de l’homme est en jeu”

Des e-mails provenant de l’Agence centrale de renseignements (CIA) ont révélé, le 15 avril 2010, que la direction du service avait ordonné de détruire des dizaines de preuves vidéo d’interrogatoires pratiqués en 2002 sur deux détenus en Thaïlande. Haut fonctionnaire de l’agence à l’époque, José A. Rodriguez a ordonné leur destruction, en novembre 2005, de peur que la CIA puisse être poursuivie en justice.

Jusqu’à quand ce mauvais scénario se repétera-t-il ? La destruction de ces vidéos est une atteinte caractérisée à la liberté d’information des citoyens américains, et au principe souverain du Premier amendement. Il est ainsi démontré que la CIA a systématiquement tenté de dissimuler au public les techniques illégales d’interrogatoires en vigueur sous la précédente administration. Combien de ces vidéos détruites allons-nous encore découvrir ?

s’est interrogée Reporters sans frontières.

Depuis 2003, le gouvernement a accepté de publier plus de 100 000 pages concernant les sévices infligés par des soldats américains aux détenus. Ces documents montrent que des centaines d’entre eux ont été torturés et que les techniques ont atteint un haut degré de cruauté sous l’administration Bush.

Le 15 mai 2009, l’organisation Judicial Watch a adressé une requête similaire relative à des documents faisant état de discussions entre la présidente de la Chambre des représentants,   Nancy Pelosi, et son premier conseiller Michael Sheehy, concernant “l’amélioration des techniques d’interrogatoire”. Le gouvernement devait les rendre publics avant le 16 avril 2010. Il a demandé “plus de temps”.

Un avion de transport de troupes américain décolle de la base d'Udon Thani en Thaïlande | U.S. Air Force photo by Staff Sgt. Jeremy Henderson

Pour la Thailande ce rebondissement est un nouvel épisode d’un embarassant feuilleton. Même si les faits remontent à l’époque du gouvernement Thaksin, aujourd’hui considéré comme un condamné en fuite pas la Thailande, elle est tout de même très problématique pour le royaume, accusé d’avoir hébergé clandestinement une prison secrète de la CIA, où des prisonniers auraient été torturés.

Même si les gouvernements successifs de Bangkok l’ont toujours démenti, la Thaïlande a très probablement hébergé des prisons secrètes de la CIA, où des terroristes présumés en provenance des pays tiers ont été détenus, et torturés. Ces graves accusations, toujours fermement niées par les fonctionnaires thaïlandais, ont été révélées pour la première fois dans un article du Washington Post dès 2006, et plus tard confirmées par des responsables américains, lors de la controverse qui a éclaté sur l’usage de la torture sur des personnes soupçonnées de terrorisme.

Les liens historiques sont anciens entre la première puissance mondiale, et son principal allié dans la région du Sud Est asiatique. La Thaïlande est devenue un allié officiel des États-Unis avec la signature de l’Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est (OTASE) en 1954 dont le siège se trouvait a Bangkok. L’organisation était alors un des instruments de la politique américaine contre l’expansion du communisme en Asie du Sud suite à la guerre d’Indochine. Par la suite, la Thaïlande passera un accord secret avec les États-Unis en 1961, enverra des troupes au Vietnam et au Laos et autorisera les États-Unis à installer des bases aériennes dans l’est du pays (dont la principale est celle d’Udon Thani), d’où décolleront les bombardiers B-52 qui bombarderont le Nord Vietnam.

Il y a quelques années, la presse thaïlandaise avait pensé avoir localisé la prison clandestine de la CIA , justement sur la base aérienne d’Udon Thani, dans le nord-est du pays. L’armée avait alors ouverte cette base à la presse pour prouver qu’elle n’avait rien à cacher. Mais ensuite les journalistes ont révélé que le gouvernement thaïlandais a en effet loué aux États-Unis un immense terrain situé dans cette région, surveillé en permanence et sous haute sécurité. L’objectif public de cette location était l’installation d’une station de la radio américaine VOA (Voice of America). Mais la taille démesurée du terrain et le système de sécurité inhabituel pour une simple station de radio, avait attiré l’attention de la presse.

Olivier Languepin avec Benoit Hervieu (Reporters sans frontières Amériques)

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