Qu’on le veuille ou non, l’image de la Thaïlande, celle d’un pays harmonieux et uni derrière son monarque bien aimé, appartient désormais à l’histoire. La violence du conflit, les armes, et la volonté d’en découdre des manifestants contraste brutalement avec l’image pacifique et paisible que la plupart des touristes conservent, malgré tout,  des Thaïlandais. 

Peu importe que les troubles soient désormais circonscrits à une zone de Bangkok dont la surface ne dépasse pas quelques kilomètres carrés, et ne concerne plus que quelques milliers d’irréductibles : le prisme médiatique a renvoyé dans le monde entier l’image d’une guerre de classe sans merci.

La dimension de la classe est en effet un élément clé des événements, au moins dans le discours des protetataires. Nattawut Saikua, un des leaders UDD, a déclaré a plusieurs reprises dans ses discours que le mouvement commencé à partir du 18 Mars 2010,a été le début d’une “guerre de classe”. Cette analyse a été reprise par Thanet Aphornsuvan de l’Université de Thammasat

“La bataille qui se joue [est] entre l’armée qui soutient, le gouvernement et l’élite urbaine de Bangkok, contre le peuple des provinces … C’est une réelle guerre de classe. La répression de samedi le confirme. “

Une guerre de classe ?

En fait cette expression ne semble pas tout à fait exacte, d’abord parce que de nombreuses classes moyennes de Bangkok ont témoigné leur soutien aux “chemises rouges”. Ensuite parce que malgré la présence de dizaines de milliers de manifestants, et leur farouche détermination à en découdre avec la police, leur colère ne s’est pas traduit par des attaques personnelles contre les riches Bangkokiens. La principale cible  des manifestants semble être le système lui même, c’est à dire  la perception que les bureaucrates et les militaires sont au service de l’élite au détriment des classes défavorisées.

Des barrages de bambous et de pneus protègent le camp retranché des "rouges" à Bangkok

Le mouvement de chemises rouges en Thaïlande participe davantage à une redéfinition du terrain de la politique qu’à une révolution, en évoquant le chemin des luttes autonomistes en Italie à la fin des années 1970 et des zapatistes au Mexique dans les années 1990. Cette redéfinition s’exprime notamment à travers l’utilisation de nouveaux termes par l’UDD, qui est à la fois un moyen de contester un Ancien Régime (en termes thaï, l’Amatya et les  Jao (seigneurs) et de modifier les conditions d’engagement dans lequel la politique est menée.

Dans leur refus, de l’ordre ancien et de certains de ses privilèges, “les chemises rouges” sont des agents d’une transformation profonde en Thaïlande, qui malgré son apparence de société modernisée, reste marquée par un passé récent quasi féodal.

La lutte des Phraï contre les élites au coeur du discours des “chemises rouges”.

Ce point peut être développé en se référant au  mot thaï Phraï, qui est devenu une référence omniprésente dans le discours politique des dirigeants de l’UDD (et dans le discours médiatique). Phraï peut être approximativement traduit comme «peuple» ou “démuni”, dans le sens anglo-saxon des “have not” : il est une référence directe à l’époque féodale, qui a officiellement pris fin en 1932 avec la transformation de la Thaïlande en monarchie constitutionnelle

Récemment, la dernière édition du journal de Thaksin affichait une couverture faite de caractères sanguinolents signifiant à peu près “Le sang des Phraï inonde la terre”. Malgré le coté rhétorique de cette affirmation, qui peut sembler jouer sur l’exagération, elle participe au fait que l’UDD est à la rechere d’une réorganisation de la politique de la Thaïlande. Pour ce faire, l’UDD a défini sa position en tant que Phraï en opposition à la Amatya (élite bureaucratique) – et implicitement aux Jaos (seigneurs) qui, traditionnellement représentent au niveau local les élites établies.

La voix de Taksin titre en une "Le sang des manants inonde la terre"

De fait à partir de 2001 le Thai Rak Thai (TRT) et le gouvernement de Thaksin a été considéré par beaucoup dans l’élite politique de la Thaïlande, et parmi la classe moyenne urbaine comme un défi à son hégémonie politique traditionnelle. Au début de 2006, Sondhi Limthongkul – un homme d’affaires millionnaire – a commencé à mobiliser ses partisans dans une campagne extra-parlementaire pour renverser le Premier ministre élu. Cette campagne a débouché sur le coup d’Etat de 2006, en remettant en cause définitivement la prévalence des institutions démocratiques, qui semblait acquise depuis 1992.

Un coup d’Etat pour rien ?

Mais le coup n’a rien réglé : après avoir été dissous en tant que TRT, le parti de M. Thaksin s’est réinventé comme le Parti du pouvoir du peuple (PPP) – et  a remporté sans problème les premières élections d’après coup en décembre 2007. La polarisation extrême du conflit actuel est aussi le résultat de tous ces retournements de situation, qui ont paradoxalement prouvé la longévité de Thaksin. Près de 4 ans après son éviction, il domine toujours le débat politique, et il est le seul homme politique thaïlandais à ne pas avoir sombré dans l’oubli après avoir été évincé du pouvoir.

L’absence totale de débat autour du rôle institutionnel de la monarchie, rend la solution de l’équation thaïlandaise encore plus complexe. La crise actuelle engendre aussi une certaine lassitude comme le démontre un sondage du journal The Nation, dans lequel 65% des sondés se disent partisans de la manière forte (disperser les manifestants et arrêter les leader de l’UDD), contre 27% pour la dissolution du Parlement.

Olivier Languepin

2 comments
  1. Je ne sais pas pourquoi, mais cet article me laisse l’impression d’être sournoisement engagé.
    Je comprends que le sujet est très complexe, que le seul fait de commenter une situation en quelques paragraphes implique d’inévitables raccourcis, mais quand même !
    Pourquoi cet article ne cite jamais les “chemises roses” ou “sans couleur”, c’est-à-dire ceux qui sont également prêts à en découdre, mais sur la base d’un raz le bol des “chemises rouges”. Et d’après ce que je vois, ces “sans couleur” sont de plus en plus nombreux, peut être même majoritaires dans le pays.
    Si c’était le cas, les “chemises rouges” ne défendraient leurs idées de manière pseudo pacifiste que dans un intérêt très personnel.
    Je ne dis pas qu’ils ont tort (ou raison), mais que des masses au moins aussi importantes défendent des idées contraires, et méritent donc d’être citées et expliquées.
    Pour moi, ce genre d’article ne permet pas d’éclairer une situation, mais bien de la complexifier.
    Est-ce vraiment du journalisme ?

  2. Moi je voudrais savoir pour l’armée intervient contre les chemises rouges alors qu’en 2008 lorsque j’étais bloqué à l’aéroport par les chemise jaunes, jamais l’armée n’est intervenu pour stopper les manifestations !

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