Lors des tournées mondiales, nombreux sont les musiciens internationaux qui “oublient” de s’arrêter en Asie, à l’exception des traditionnels concerts à Tokyo ou Singapour. Pourquoi les artistes n’investissent-ils pas plus la zone sud-asiatique ? 

Depuis la fin de la pandémie, l’industrie musicale prouve qu’elle représente une arme puissante pour le tourisme et l’économie – car les fans n’achètent pas qu’un billet de concert. Le transport, l’hébergement, et les dépenses sur le lieu de l’événement sont autant de recettes considérables pour le pays hôte de l’événement. 

Lorsqu’ils décident de venir jouer en Asie du Sud-Est, les artistes internationaux se tournent le plus souvent vers Singapour, devenue incontournable. Face aux résultats impressionnants que génère l’industrie du spectacle et la préférence pour certaines destinations, se lance alors dans la région une course aux artistes. À vos marques, prêts, partez : c’est à celui qui sera le plus attractif malgré les différents obstacles se dressant sur sa route. 

Le manque d’infrastructures, un obstacle majeur

Un des principaux arguments liés à l’incapacité de faire venir des artistes occidentaux jusqu’en Asie du Sud-Est concerne la logistique. De nombreux observateurs soulignent l’insuffisance de salles adaptées et le manque de systèmes de sécurité adéquats pour accueillir des artistes de renommée internationale et leurs shows spectaculaires. 

Par exemple, le Vietnam manque d’arénas de plus de 30 000 personnes, rendant impossible l’accueil d’un public nombreux, et le faisant rester à la marge des plus grands concerts. 

De plus, sans avoir instauré de coopération sur le long terme, il est parfois difficile pour les organisateurs des tournées de trouver des relais et des partenaires sur place, ce qui, souvent ajouté à la barrière linguistique, rend la collaboration ardue. 

Enfin, le coût d’organisation d’événements d’une telle ampleur est un repoussoir. Pour des personnalités telles que Rihanna, il faut compter au moins 2 millions de dollars pour couvrir les dépenses de l’artiste et de son équipe – un prix souvent trop élevé pour certains États, qui doivent se passer d’une opportunité culturelle en or. 

Une demande trop faible et des différences de cultures problématiques

Un autre élément essentiel est le public : en effet, si la fanbase de la célébrité n’est pas au rendez-vous, il est rare que son équipe décide d’organiser un événement qu’elle sait ne pas être rentable. 

Aujourd’hui, avec l’utilisation de Spotify et des plateformes de streaming, la musique du monde entier devient accessible en un clic. Grâce à cela, parmi la nouvelle génération, les Asiatiques sont nombreux à écouter des chansons occidentales. Un nouveau phénomène se développe également depuis plusieurs années sur les réseaux sociaux, consistant à voyager à travers le monde rien que pour un concert, peu importe le prix. Ainsi, beaucoup se disent prêts à dépenser des sommes conséquentes pour aller voir leur star préférée en live

Toutefois, des différences de cultures prononcées peuvent parfois rebuter les artistes occidentaux. Ils peuvent préférer se représenter devant des audiences connues, ou bien qui parlent leur langue. 

Ce sont parfois même des différends idéologiques qui font reculer certains pays dans la course aux concerts. Par exemple, le soutien de Chris Martin envers la communauté LGBTQ+ a été le sujet de polémiques religieuses en Indonésie et en Malaisie, accusant le chanteur de Coldplay de promouvoir une culture déviante, et faisant hésiter le groupe à performer. 

Singapour, un concurrent redoutable qui devance ses rivaux

Lorsqu’ils décident d’ajouter l’Asie du Sud à leurs tournées, la préférence des artistes se porte souvent sur la Malaisie, les Philippines, ou l’Indonésie, mais s’il existe un pays qui ne semble pas devoir s’inquiéter de la compétition qui règne, c’est bien Singapour. 

Le gouvernement de Singapour a réussi à garantir l'exclusivité de la venue de Taylor Swift en versant 3 millions de dollars à l'agence de réservation AEG.
Le gouvernement de Singapour a réussi à garantir l’exclusivité de la venue de Taylor Swift en versant 3 millions de dollars à l’agence de réservation AEG.

Dans la région, il est habituel de négocier l’exclusivité d’un concert, afin que les fans se déplacent et dépensent dans le pays qui l’accueille – et c’est souvent Singapour qui obtient ces droits exclusifs.

C’est de cette façon qu’en 2024, le gouvernement singapourien a obtenu de l’agence de booking AEG la venue exclusive de Taylor Swift. Il a été révélé en février 2024 par Srettha Thavisin, l’ancien Premier Ministre thaïlandais, que Singapour avait offert à AEG près de 3 millions de dollars pour assurer l’arrivée du Eras Tour dans la République. 

Ce n’est pas la première occurrence de ce phénomène, et c’est un pari coûteux, mais qui rapporte gros. On estime qu’en six soirées de concerts, Taylor Swift a généré plusieurs millions de dollars de recettes pour l’économie singapourienne – de quoi largement rembourser les subventions gouvernementales.

Pour se conformer à ces pratiques, les pays voisins se plient aux exigences du marché : l’Indonésie a par exemple créé un fonds touristique d’environ 86 millions de dollars pour elle aussi pouvoir attirer les artistes internationaux à ses portes. 

Le futur de la musique live en Thaïlande 

Face à cette compétition, la Thaïlande n’est pas en reste. Si en 2023, des artistes de renommée mondiale tels que Harry Styles ou Arctic Monkeys ont effectivement fait le bonheur des fans en se produisant à Bangkok, cela reste encore trop occasionnel pour le pays.

En février 2024, l’ancien Premier Ministre Srettha Thavisin a invité des représentants d’AEG lors d’une réunion concernant de potentielles mesures pour inciter de nouveaux artistes internationaux à jouer dans le Royaume. 

Parmi celles-ci, des subventions et des avantages fiscaux ont été évoqués. Pour attirer plus de “méga-concerts”, il est également question d’adapter les visas nécessaires à leur mise en place, ainsi que d’autoriser la vente d’alcool dans les salles de spectacle – aujourd’hui interdite à certains horaires fixes. 

Le marché thaïlandais de la musique live est censé s’étendre davantage, et atteindre les 176 millions de dollars de bénéfices en 2025. Le pays peut notamment compter sur la récente explosion de la “festival culture”, poussée par le gouvernement sous l’égide de son projet IGNITE Thailand. 

À travers plusieurs stratégies, telles que les enchères pour obtenir les droits d’accueil d’un événement, des plateformes de soutien pour les organisateurs, ainsi que la création d’une “Festival Academy”, les dirigeants thaïlandais encouragent la formation d’une véritable industrie du festival. Le célèbre Tomorrowland devrait notamment avoir lieu sur le sol bangkokois en 2026. 

En conjuguant ces efforts à ceux déployés pour attirer de prestigieux concerts internationaux, la Thaïlande entend se positionner en acteur phare dans l’industrie musicale d’Asie du Sud-Est. Si elle réussit à tirer profit du soft power d’icônes culturelles, elle pourra durablement améliorer sa visibilité sur la scène mondiale et devenir un lieu incontournable lors des futures tournées. 

Cette année, après le mythique concert d’Ed Sheeran en février, on attend plusieurs grands noms occidentaux à Bangkok : Green Day, Cigarette After Sex, Gracie Abrams, Tyler, The Creator, Kylie Minogue, Glass Animals… La plupart affichent déjà complet. 

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